Le long métrage tiré du projet Émilie (qui prend aussi la forme d'une web-série diffusée par Radio-Canada), est étonnamment conventionnel pour un projet aussi innovateur et audacieux techniquement. Dans ses thématiques, ses revirements dramatiques, et même dans sa forme, le long métrage est particulièrement classique (et souvent bêtement burlesque) et n'évite les stéréotypes que par une surenchère d'aléatoire qui ne s'intègre jamais bien aux désirs très « réalistes » des personnages, qui sont simplement en quête d'amour. Émilie, donc, sous des allures d'innovation, n'est qu'une comédie romantique comme bien d'autres, pas nécessairement mal faite, mais certainement pas parfaite non plus.
L'intrigue ténue est déjà surcomplexifiée par une mise en situation très circonstancielle que voici résumée le mieux possible : Émile part avec son chum Bruno pour le Maroc demain, pour un an. Lui est ingénieur et s'en va travailler sur un barrage qui a mauvaise presse (mais ne le retenez pas, ce n'est pas important finalement). Ils organisent un party de départ séparé (puisqu'ils n'ont aucun ami commun?), et vont se marier civilement demain, en présence de leurs parents. Au party d'Émilie, Mathieu, son meilleur ami, la filme en train d'embrasser Jeff, son ex, qui est un acteur, en tournage avec DiCaprio sur le nouveau film de Spielberg, à Montréal. Mathieu envoie le vidéo à Bruno (et à tous les amis communs), qui est fâché. Émilie se réveille chez Jeff. Croyant qu'elle a couché avec lui, elle est prise de remords, et tente de contacter Bruno, qui l'a quittée. Patrick, un ami d'Émilie qui est aussi amoureux d'elle, apprend la nouvelle, quitte sa blonde, prend un taxi et se met à sa recherche dans tous les salons de coiffure de Montréal, où Émilie, encore confuse, aide une coiffeuse d'origine scandinave à accoucher d'un enfant dont son mari n'est pas le père, pendant que la mère d'Émilie réagit fortement au retour du père d'Émilie, qui l'a trompée il y a des années de cela. Bruno change d'idée, cherche Émilie, qui n'a pas son cell, parce que son ami Mathieu, qui a l'intention de lui avouer son amour, l'a gardé. Et c'est seulement la mise en situation...
Bon. Je comprends que vous soyez confus. Tous ces détails font dévier le long métrage de ce qui importe vraiment : qui Émilie va-t-elle choisir? C'est à la fois une erreur scénaristique que de dévier si longuement de la trame centrale du projet et un tour de force de réalisation que de faire en sorte que le film qui découle de ce complexe chassé-croisé demeure globalement assez cohérent malgré tout. Cohérent à défaut d'être palpitant, puisque les revirements paraissent très forcés, en plus de se contenter d'un rassurant happy end où la morale est sauve.
Bien sûr, la crédibilité générale du projet souffre beaucoup de tous ces impératifs narratifs qui s'interjustifient. L'humour, très présent en théorie, s'installe donc plus difficilement, et il faut souvent la candeur des acteurs (et leur charisme) pour « sauver » la blague. On pense à Patrick Hivon, qui est certainement le plus enthousiaste du groupe. Guillaume Perreault, Patrick Drolet et Jean-François Nadeau incarnent leurs personnages efficacement, mais ils sont tributaires de revirements parfois franchement désolants. Toujours le même pattern : quiproquo, course folle à travers la ville, changement d'idée, course folle, quiproquo. Émilie Bibeau, dans le rôle d'Émilie, s'avère assez dynamique et énergique, mais assez secondaire au récit.
La partie web du projet démontre une plus grande audace formelle (les mentions écrites, l'intervention du spectateur, le cellulaire, etc. - en fait, même le récit est plus créatif, plus ironique, plus intéressant). La véritable question est donc de savoir si on doit envisager Émilie comme un long métrage autonome ou comme une partie d'un tout. Malheureusement, c'est un débat trop complexe pour cette courte critique qui s'étire déjà trop...