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De roses et de sang
Lauréat du prix du Jury au festival de Cannes, Emilia Pérez, du réalisateur Jacques Audiard (De rouille et d’os), est enfin disponible au Canada sur Netflix.
Alors qu’elle travaille dans l’ombre d’un cabinet d’avocat, Rita reçoit une offre qu’elle ne peut refuser: celle d’aider le chef d’un puissant cartel du Mexique à changer de vie en devenant une femme.
Dès le début du visionnement, nous sommes transportés dans les décors dépaysants et suffoquants des street food markets bondés. Un cadre qui contraste sans aucun doute avec celui des films musicaux auxquels nous sommes accoutumés. Pourtant, Emilia Pérez se révèle être une œuvre queer audacieuse qui parvient à échapper au kitch pour se hisser au sommet des films musicaux, côte à côte avec La La Land.
Rien ne semble avoir échappé à Audiard. La trame musicale s’intègre parfaitement à l’époustouflante photographie, parfois sobre, parfois néon. La distribution féminine, également récompensée à Cannes, offre un jeu émotionnel et sans faille. Le scénario, qui explore les paradoxes entourant l’identité d’Emilia (auparavant Manitas), s’avère aussi déconcertant qu’envoûtant. La finale, sur une réinterprétation de Les passantes de Georges Brassens par Adriana Paz, n’est rien de moins que grandiose.
Avec une nomination aux Oscars en vue, Netflix tirera assurément profit de ce partenariat. Pourtant, Emilia Pérez aurait dû se voir offrir la place au grand écran qui lui revient.
Musical qui fait genre.
Décidément Jacques Audiard n’est jamais là où l’attend! Et c’est tant mieux car il aborde presque tous les genres et s’en tire souvent avec les honneurs et des louanges méritées. Après, par exemple, le drame social « Dheepan » (qui lui a valu une Palme d’or), le western parfaitement négocié à l’américaine (« Les frères Sisters »), une charmante chronique amoureuse en noir et blanc en forme d’hommage à La Nouvelle Vague entre gravité et légèreté (« Les Olympiades »), le voilà qui s’essaie à un genre casse-gueule au possible : la comédie musicale. Pas facile de prime abord, il aurait pu se faciliter la tâche en tournant dans son pays mais il tente la totale et sort de sa zone de confort en tournant au Mexique et en langue espagnole! Et comme pour tous ses autres films, il réussit le challenge haut la main et nous livre une œuvre sublime et magistrale qui fera date. « Emilia Perez » a reçu un prix du jury mérité à Cannes au sein d’une sélection de haute volée où concourraient les immenses « Les graines du figuier sauvage » et la claque choc « The Substance » - pour prendre deux exemples aux antipodes l’un de l’autre – mais c’est son prix d’interprétation féminine pour toutes ses actrices qui a surtout marqué, à raison, les esprits.
En effet, son casting de comédiennes du cru est purement et simplement exceptionnel. Non seulement elles jouent bien et livrent toutes des prestations qui marqueront au fer rouge leur carrières respectives mais en plus elles chantent et dansent comme des reines (ce qui n’est pas toujours facile et dans un genre où on peut vite sombrer dans le ridicule). Zoë Saldana, qu’on a davantage l’habitude de voir grimée dans des franchises (« Avatar » ou « Les Gardiens de la Galaxie ») montre à quel point elle excelle lorsqu’elle est bien dirigée comme ici avec un cinéaste habitué à ce que ses acteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes. Elle brille dans les séquences classiques et dramatiques et surprend dans celles chantées et dansées comme la plus mémorable, celle du gala, qui s’avère un régal pour les yeux et les oreilles et une démonstration parfaite de ce que peut être une excellente comédie musicale. Selena Gomez prouve aussi que sortir de chez Disney jeunesse n'est pas une malédiction comme elle l’a déjà montré dans « Spring Breakers » d’Harmony Korine. Mais la révélation du film est sans conteste l’actrice transgenre Karla Sofia Gascon. Incroyable de charme, de volupté, d’assurance puis de rage contenue en femme, Audiard ose lui faire rejouer un homme dans la première partie où elle est monstrueuse et effrayante. Un double rôle à la croisée des genres qui fera date et impressionne durablement. « Emilia Perez » c’est elle et le film tient sur ses épaules comme les fondations d’un monument.
Il y a peut-être un ventre mou en milieu de film lorsque les deux parties se rejoignent, un petit quart d’heure de trop qui, en moins, aurait rendu le long-métrage plus rythmé et encore plus percutant. On se demande aussi ce qu’aurait donné « Emilia Perez » sans les numéros musicaux, tant l’histoire est déjà passionnante telle une tragédie antique aux sujets éminemment contemporains et qu’il y souffle un côté tragiquement épique. En effet, si les passages véritablement chantés et dansés sont majoritairement impeccables et permettent de faire avancer l’histoire en densifiant la psychologie des personnages ou en approfondissant des sujets, le fait de voir chanter certains dialogues sans raison pourra rebuter. Un chouï moins de ces séquences n’aurait peut-être pas nui au film. En revanche, lorsque les actrices chantent et dansent en même temps sur des chorégraphies de haute volée, à une ou deux exceptions près, c’est flamboyant et certains passages nous subjuguent. On pense aussi à cette séquence étonnante et originale où le bruit des armes crée une musique entraînante.
Audiard propose en plus une réflexion magnifique sur la transidentité et il est clair qu’on ne l’attendait pas là. C’est superbement écrit et pousse à nous interroger. Faire d’un chef de cartel impitoyable une femme en devenir, il fallait oser et il l’a fait sans que cela soit grossier, prête à la moquerie ou encore ne tienne pas debout. Son script est magistral et lorsqu’il se risque dans la seconde partie à parler de la corruption qui ronge le Mexique et du sujet brûlant des enlèvements et des disparitions qui gangrène le pays depuis quelques années, il le fait avec acuité et beaucoup de mérite et de tact. « Emilia Perez » réussit le pari d’être à la fois un film queer et coloré, une comédie musicale parfaitement orchestrée, un drame puissant au fond social et politique pertinent et un écrin parfait pour des actrices en état de grâce. Chapeau l’artiste! À quand une incursion dans la comédie pure, le film d’horreur ou celui de science-fiction?
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Un tour de force
Jacques Audiard se renouvelle à chaque film avec un talent incroyable. Nous voici donc dans un drame musical avec une femme trans en vedette tourné en espagnol avec la violence au Mexique en toile de fond. Il aurait pu se casser la gueule totalement, mais non ! Les personnages sont crédibles, l’histoire nous surprend constamment et les numéros musicaux apportent vraiment quelque chose à l’ensemble.
L’audace de ce réalisateur est belle à voir. D’une situation des plus improbables, il dresse d’abord un portrait réaliste ou comment faire disparaître un chef de cartel, mettre sa famille à l’abri et engager les plus grands spécialistes pour changer d’identité, le tout parsemé d’envolées musicales qui expriment l’intériorité des personnages. Ensuite Audiard nous amène ailleurs, développant un propos social qui va de pair avec la transformation intérieure d'Emilia sans jamais tomber dans la facilité ou le moralisme.
Sans être le meilleur film du réalisateur, Emilia Perez est une œuvre majeure qui marquera les esprits.