Pour son plus récent long métrage, le cinéaste français Jacques Audiard (Dheepan, Un prophète) a pris la route du Mexique afin de traiter d'une importante problématique sociale, de corruption, et d'un système judiciaire défaillant, tout en portant un regard perçant sur un univers criminel par l'entremise d'un élément insolite. Le tout en utilisant la musique comme un exutoire pour l'âme de tous les fardeaux qu'elle porte.
À partir de tous ces morceaux repris aux quatre coins de sa riche filmographie, retravaillés et augmentés ici à la puissance 11, le réalisateur a su créer la comédie musicale la plus exaltante et inattendue de l'année.
Le genre d'expérience cinématographique exigeant du spectateur qu'il plonge tête première dans la proposition en faisant totalement confiance au maître de cérémonie, et en l'accompagnant dans ses élans les plus impulsifs et maximalistes.
Si vous vous êtes laissé convaincre dès le départ par toute cette surenchère parfaitement maîtrisée, vous découvrirez bien assez vite que le jeu en valait définitivement la chandelle.
À la suite d'une victoire judiciaire pour laquelle elle n'a pas eu droit à la reconnaissance qui aurait dû lui revenir, l'avocate Rita Moreo Castro (Zoe Saldana) est engagée par le chef de cartel Manitas Del Monte pour prendre en charge un dossier particulièrement personnel et délicat. Manitas désire effectivement quitter sa vie de criminel sanguinaire pour devenir une femme.
De fil en aiguille, Rita parvient à tout organiser pour permettre au principal intéressé de disparaître sans laisser de traces, subir son opération de changement de sexe à l'étranger, et ressortir de ce long processus sous les traits d'Emilia Pérez (Karla Sofía Gascón). Le tout en aidant sa femme (Selena Gomez) et ses deux enfants à quitter le Mexique pour vivre en sécurité à Lausanne, en Suisse.
Quatre ans plus tard, Emilia refait surface dans la vie de Rita pour lui demander de nouveau son aide. Et de ce nouveau point tournant débute un autre périple venant brouiller les cartes pour toutes les personnes impliquées, que la vie a évidemment amenées ailleurs depuis le temps.
Au-delà de l'identité de genre, Emilia Pérez se penche également sur la question identitaire par rapport aux origines et à l'essence d'un individu, et leur influence sur ce qu'il peut être en mesure d'accomplir avec les moyens dont il dispose, surtout s'il a l'opportunité de s'affirmer pleinement.
Audiard et ses coscénaristes se montrent particulièrement habiles dans la façon dont ils tracent le destin d'Emilia parallèlement à la quête de rédemption de Manitas, évitant au passage plus de terrains minés qu'ils l'avaient probablement réalisé au moment de l'écriture.
Il y a d'ailleurs quelque chose dans le rythme, les nombreux retournements du récit et ces coupes franches nous les introduisant qui nous rapprochent davantage de ceux de la scène.
Ceci étant dit, le résultat final n'a rien de statique, et l'énergie déployée ici par Audiard et son directeur photo Paul Guilhaume est résolument cinématographique, le duo sortant continuellement l'artillerie lourde pour surprendre, élever, décontenancer, et en mettre plein les sens.
Les numéros musicaux sont aussi variés et expressifs que chargés de sens et d'émotions, atteignant la cible avec une force de frappe considérable, tout en parvenant par la bande à tirer profit de certaines imperfections.
En plus du Prix du Jury, Emilia Pérez est reparti du plus récent Festival de Cannes avec un prix d'interprétation soulignant le travail colossal de quatre principales têtes d'affiche.
Zoe Saldana en met définitivement plein la vue dans ses chorégraphies, tout comme dans la peau d'un personnage en constante quête de repères et du sens de sa propre existence.