Personne ne se surprendra que cet essai cinématographique soit signé Denis Côté, un cinéaste de cette génération de cinéastes qui ont été éduqués au cinéma plutôt qu'à un autre art et qui font aujourd'hui du cinéma pour le plaisir de le remodeler, allant d'essais à erreurs sans s'inquiéter et sans fausse modestie. Elle veut le chaos est donc conçu dans cette optique d'étrangeté, où le conditionnement narratif forcé par le cinéma hollywoodien est mis à rude épreuve. Cela donne autant de moments de pure intelligence que de flottements, moins efficaces ou alors moins ciblés, dans un film qui ne fait pas dans la simplicité.
Ce pourrait aussi bien être l'histoire de Coralie, jeune fille morose au passé bien rempli, que celle de Spazz, petit criminel de grand chemin, et de sa bande de gangsters; ou même celle de Pierrot, ancien prisonnier qui veut retourner en France. Ce n'est peut-être même pas une histoire, tellement il n'est pas question ici de passé ou du futur, de quête ou d'évolution des personnages. L'histoire, elle se déroule en même tant que la pellicule passe devant la lumière la projette sur l'écran à une vitesse inimaginable. L'arrivée de deux prostituées russes vient mettre en évidence ce constat : d'où viennent-elles, où vont-elles? ... ... ... On n'en sait rien et... on s'en fout.
Conte d'humour aride, proposition audacieuse qui, comme toutes les propositions audacieuses, a des moments divins et des moments d'ennui total; entre autres alors que le dénouement, pourtant admis déjà depuis plusieurs minutes, se fait inutilement attendre. Elle veut le chaos est filmé en périphérie, pratiquement sans gros plans, ce qui lui confère un autre type d'étrangeté, plus interpellante celle-là, et qui permet de s'imprégner davantage d'un noir et blanc malheureusement inégal. Si certaines séquences sont brillamment pudiques, d'autres, trop sombres, trop peu contrastées, sont plus frustrantes encore que toutes les libertés scénaristiques prises par l'auteur. On dirait parfois un film conçu en couleurs mais filmé en noir et blanc tellement les deux couleurs et leurs déclinaisons sont mornes et sans personnalité.
Les comédiens sont tous brillamment dans le ton - quel qu'il soit; ils semblent même qu'ils saisissent plus que nous ce qu'ils vont faire là, sur cette petite route de campagne où les préoccupations quotidiennes sont la simple survie. Même ces moments - incongrus en long métrage, mais parfaits pour le court métrage - où les personnages, silencieux et perdus dans leurs pensées, regardent le vide, sont spécialement bien rendus par Ève Duranceau et l'ensemble de la distribution. Quel plaisir aussi de voir des acteurs habituellement peu vus au cinéma comme Normand Lévesque et Réjean Lefrançois.
Oeuvre modeste, Elle veut le chaos s'adresse autant au cinéma lui-même qu'à un public ou un groupe d'âge en particulier. C'est un laboratoire narratif où les attentes sont systématiquement déçues, où le conditionnement cinématographique est mis à rude épreuve, un peu comme Funny Games le faisait si brillamment plus tôt cette année. Sur le coup, c'est frustrant, mais quand on y pense, c'est l'évolution inévitable du cinéma narratif.
Oeuvre modeste, Elle veut le chaos s'adresse autant au cinéma lui-même qu'à un public ou un groupe d'âge en particulier. C'est un laboratoire narratif où les attentes sont systématiquement déçues, où le conditionnement cinématographique est mis à rude épreuve.
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