Cela n'aura pris que sept années avant qu'un film de fiction n'aborde l'affaire Weinstein. Même s'il peut parfois manquer de recul, She Said fait oeuvre utile à bien des égards.
Prenant la forme d'une enquête journalistique menée par Megan Twohey (Carey Mulligan) et Jodi Kantor (Zoe Kazan) du New York Times, le long métrage est d'abord une lettre d'amour envers le quatrième pouvoir, ces chiens de garde de la démocratie. Le récit s'attarde longuement à leur persistance et obstination, à leur difficulté de recueillir des preuves et de convaincre des victimes à parler à visage découvert. Un travaille d'équipe qui va du terrain jusqu'à la salle de presse, alors que David devra rapidement subir la pression d'un immense Goliath qui ne lésine pas sur l'argent et les avocats.
Le désir est grand d'être le Spotlight de son époque, qui marchait déjà dans les pas du classique All the President's Men et du méconnu Shattered Glass. Le traitement est similaire, entièrement dévoué à son sujet noble et important. Sans égaler l'opus de Thomas McCarthy qui a remporté l'Oscar du meilleur film, celui de Maria Schrader fait bien meilleure figure que Bombshell, qui revenait sur un scandale similaire. Les thèmes sont les mêmes - abus de pouvoir des rois de ce monde, environnement toxique où tout le monde semble au courant des méfaits, système gangrené jusqu'à la moelle qui protège les agresseurs -, c'est l'exécution qui est différente, étant ici beaucoup plus subtile et mesurée.
She Said est surtout une incroyable leçon de courage qui paie hommage à toutes ces femmes. Elles sont fortes, résilientes et capables de reprendre leur destinée en main. Une véritable sororité se construit et c'est ensemble qu'elles peuvent briser le silence et faire éclater la vérité. Surtout que les deux journalistes apparaissent parfois dans leur sphère intime et personnelle, montrant l'exemple à leurs enfants. Dès les premières images du film, ce sont des visages épars de femmes qui ressortent de la faune urbaine new-yorkaise et ce concept devient l'ADN même du long métrage, presque entièrement conjugué au féminin.
En recourant au scénario de Rebecca Lenkiewicz (qui est basé sur un livre, qui lui-même racontait l'investigation des deux journalistes du New York Times), la production peut compter sur la présence d'une auteure chevronnée. Ses portraits féminins subjuguent, surtout quand elle a la latitude de quitter le consensus (Colette) pour embrasser des êtres plus complexes (comme ce fut le cas sur Ida et Disobedience). Elle s'en donne à coeur joie, bien que l'ensemble demeure tout de même conventionnel. Le script prend son temps pour expliquer de fond en comble l'affaire Weinstein (ce célèbre producteur hollywoodien qui a abusé de nombreuses actrices), ne lésinant pas sur les répétitions qui font durer le récit un peu trop longuement.
Le suspense finit par se créer par l'accumulation de mots et de témoignages, par l'épée de Damoclès qui risque de s'abattre à tout moment sur nos héroïnes. Seraient-elles en mesure de publier leur article? Ou quelqu'un finira par leur mettre des bâtons dans les roues? Une tension qui agit en sourdine, maximisée par la musique émotionnelle de Nicholas Britell (Moonlight, If Beale Street Could Talk). Dommage que la réalisation de Maria Schrader (I'm Your Man) n'arrive pas toujours à élever les enjeux. Pour un plan soigné qui exprime parfaitement la solitude, il y a l'éternel champ-contrechamp lors d'échanges plus didactiques. Au moins, elle filme la souffrance avec décence, s'intéressant à la réaction que provoque une révélation.
Tout se joue ainsi dans le regard et l'effort compte dans ses rangs deux comédiennes extraordinaires qui sont capables de véhiculer la moindre émotion par leurs yeux. Au panthéon des meilleures actrices de sa génération depuis le Shame de Steve McQueen, Carey Mulligan apporte grâce et dévotion à ce personnage un peu coincé par l'existence. Elle forme un duo attachant avec la dévouée Zoe Kazan (inoubliable dans The Big Sick et Ruby Sparks) tant les deux interprètes sont animées d'une énergie similaire. Leur magnétisme enrichit la démarche, favorisant un meilleur attachement de la part du spectateur.
Passionnant de bout en bout, She Said rappelle l'importance d'un journalisme fort pour délier les langues, exposer les maux de la société et opérer un changement de mentalité. Même s'il manque peut-être d'audace sur le plan cinématographique, le film est porté par des figures féminines inspirantes qui font toute la différence.