Vu au Festival du Film de Toronto.
D'abord, il faut que je vous confie cette gênante vérité; je n'aime généralement pas beaucoup les films qui gagnent la Palme d'Or. Je sais, c'est embarrassant pour une critique d'avouer ne pas être en accord avec un jury formé des plus grands artisans du milieu cinématographique mondial, mais c'est pourtant vrai. Dheepan ne fait pas exception à la règle. Entendons-nous, il s'agit d'une oeuvre bouleversante qui m'a émue et ébranlée, mais de là à dire qu'elle méritait le plus prestigieux prix de l'industrie... il y a une marge. Jacques Audiard, qui a été nommé pour la Palme d'Or à trois reprises avant celle-ci a certainement quelque chose à voir dans ce choix discutable. Mais bon, fin de l'éditorial et de la montée de lait, retour au film...
Dheepan brosse le portrait de trois immigrants srilankais, un homme, une femme et une fillette de 9 ans, qui s'allient afin de se faire passer pour une famille et d'être déportés en Europe. Lorsqu'ils atterrissent finalement en France, où ils croient pouvoir vivre une vie meilleure, ils sont confrontés aux guerres de gangs de leur quartier. D'une guerre à l'autre, Dheepan, Yalini et Illayaal s'efforcent de mener une existence quasi normale malgré le drame qui pèse sur eux. L'histoire de ces trois étrangers qui apprennent à cohabiter et à se respecter malgré l'absence de liens de sang est particulièrement poignante.
Il faut dire que Dheepan s'avère quand même une Palme d'Or plus accessible que la plupart des précédents récipiendaires. Moins dans la contemplation et la métaphore soporifique comme bien d'autres, le long métrage est cohérent et empreint d'une vérité presque trop réelle. Le film contient une violence douloureuse et profonde. Le spectateur ressent cette animosité réfrénée et attend, inquiet, qu'elle explose. Cette retenue oppressante qu'Audiard maintient jusqu'à la fin s'avère l'une des plus grandes qualités de l'oeuvre. Elle nous égorge et nous suffoque. On se demande quand tout explosera, combien de guerres les personnages seront prêts à supporter avant de prendre les armes eux aussi.
Mais Dheepan plonge parfois dans un mélodrame désolant (la finale est d'ailleurs la résolution romanesque de ce mélodrame), comme si on voulait nous pousser une morale ou deux au fond de la gorge. Audiard, à qui l'on doit entre autres Un prophète et De rouille et d'os, est généralement plus subtil dans sa démarche. On sent dans Dheepan la volonté d'engendrer une réflexion et d'émouvoir à tout prix, ce qui agace. Le film est aussi inégal dans son rythme et dans sa charge émotive.
Dheepan n'est pas le meilleur film d'Audiard, mais il est probablement un de ses plus accessibles, par son sujet et sa manière de l'amener. D'actualité, le long métrage français est une réflexion intéressante sur la famille et sur la signification de cette dernière. Ses interprètes sont bouleversants et sa mise en scène est mesurée et efficace.