Pour son quatrième film, James Gray quitte le monde du crime interlope mais garde Joaquin Phoenix pour réaliser un film « romantique » new-yorkais avec une sensibilité à fleur de peau et d'une redoutable efficacité. Porté par sa brillante distribution, le film de Gray, de par la modestie de son sujet, frappe droit au coeur, rendant une juste observation de l'amour involontaire, celui qui fait mal et contre lequel toute lutte est vaine.
Leonard vient d'emménager chez ses parents après une mauvaise passe. Les manigances de ces derniers lui font rencontrer Sandra, la fille du nouveau propriétaire du commerce de son père, qui semble fascinée par lui et ses talents de photographe. Simultanément, il croise une voisine, Michelle, qui entretient une relation avec un homme marié, de qui il tombe rapidement et follement amoureux.
La performance exceptionnelle de Joaquin Phoenix, bien supporté par Vinessa Shaw et Gwyneth Paltrow, est au centre de ce récit stimulant pour l'esprit sans être particulièrement original. Il ne s'agit pas pour autant d'une comédie romantique comme les autres; le spectateur est interpellé autant par l'histoire que les personnages, toujours étrangement crédibles, autant que par le récit qu'il faut suivre avec attention. Rappelant parfois Mike Nichols, le film aborde de front la question de l'amour par quelques dialogues inspirés et des personnages bien définis et bien incarnés. Sandra, une ravissante brunette timide et réservée, est parfaite pour Leonard. Mais la rationalité a rarement à voir avec l'amour, et Leonard, un peu bête, cherche plutôt le regard de Michelle la bonde.
Une magnifique déclaration d'amour où Leonard dessine sur le bras de Michelle les mots « I LOVE YOU » vaut bien tous les « je t'aime » de ce cinéma romantico-rassurant qui prend toute la place dans les cinémas. L'amour, c'est rarement beau et agréable, c'est particulièrement égoïste en fait, et le film l'illustre merveilleusement.
Il y a dans Deux amants un brouillard permanent autour des décors aux tons terreux, comme on le remarque souvent chez James Gray. L'histoire est frappée du même mal; s'il y a effectivement un ralentissement regrettable avant la chute, la finale, maternelle et compréhensive, apporte beauté et soulagement. D'une désillusion romantique à l'autre, son film était d'une cruauté exacerbée, disséquant avec autant de minutie qu'un chirurgien la mécanique de l'amour autant que la mécanique du cinéma. Et, il faut le dire, Gray est en meilleur contrôle que lorsqu'il côtoie gangsters et autres truands, en particulier parce qu'il évite les invraisemblances.
Les performances soignées des acteurs, en particulier celle de Phoenix, viennent ajouter à ce récit bien conçu sans être spécialement innovateur. Paltrow et Shaw, plus effacées tout de même, sont d'une grande justesse même si on perçoit quelques tendances mélodramatiques (absolument incongrues dans cet univers) dans le jeu de la blonde.
Deux amants est au film d'amour ce que Les fils de l'homme était au film de fin du monde; une vision malpropre mais humaine retournant les clichés dans tous les sens, pas tant pour s'en dissocier que pour comprendre ce qui les fait.