Il s'agit peut-être de l'invraisemblance des dialogues ou de l'incongru de la situation, ou alors de cette fascination forcée pour le Bic (quétaineries incluses). Pour expliquer l'échec de Détour, plusieurs hypothèses sont envisageables. Il y a aussi le simple fait, bien plus important qu'on croit, qu'aucun personnage ne prend jamais une seule décision censée dans toute cette aventure rocambolesque (jusqu'à poser des gestes criminels compromettants). On finit par se dire, par dépit sans doute, que leur sort, ils le méritent tout simplement, et qu'ils sont la cause de leur propre malheur. Tant pis pour eux et pour nous.
Secrétaire dans un bureau d'ingénieurs de Montréal, Léo Huff vit une existence morne avec sa femme manipulatrice et malade et sa patronne qui lui fait des avances répétées. Afin de galvaniser un peu sa vie, il décide de se rendre au Bic, dans le Bas-St-Laurent, afin de proposer aux gens du coin un projet de parc aquatique. Il y fera la rencontre de la belle Lou et de son petit ami violent, Roch. Fasciné par la jeune fille, Léo la poursuivra jusque chez elle afin de l'aider à se sortir de cette relation malsaine, quitte à tout abandonner derrière lui.
Voulant apparemment revisiter les codes du film noir, Détour s'applique à rendre son récit impénétrable et imprévisible, et en ce sens il le fait bien. Les personnages, assez grossièrement esquissés et très versatiles, sont bien difficiles à cerner d'autant qu'ils prennent, on l'a déjà dit, plusieurs décisions très douteuses. « Se mettre en danger », au sens figuré, pour Léo, c'est peut-être une bien bonne idée, mais au sens propre, c'est juste idiot. Très idiot.
L'interprétation de Luc Picard, fort compétente au demeurant mais pas nécessairement très sentie, ne parvient pas à faire oublier cette grave erreur élémentaire; le récit demeure complètement étranger au spectateur et le destin des personnages à peine intéressant, puisqu'ils sont responsables de leur propre malheur et qu'ils en auront mérité les conséquences. D'autant que ces derniers, dans de tonitruantes démonstrations d'esclandre public, ne font rien pour s'aider. Guillaume Lemay-Thivierge, qui porte la responsabilité du seul personnage burlesque de l'aventure, s'en accommode difficilement tellement il détonne par rapport à l'ensemble du film, ancré dans un réalisme très rigoureux, du moins visuellement.
Visuellement soigné, Détour se termine dans la mièvrerie et le consensus, et l'histoire d'amour assez fortement appuyée jusque-là exaspère plus que ne convainc. Les dialogues un peu quétaines, sur fond de philosophie résignée assez limitée, n'aident pas non plus. Au moins, on ne nous fait pas l'insulte du happy-end.
À cause de sa trame narrative, qui s'égare dans les méandres de l'irrationnel, Détour ne recevra jamais les compliments qu'il mérite : Luc Picard s'avère efficace et certains plans sont assez jolis. Mais, puisqu'il n'est porté par aucun souffle, aucune passion qui ne serait pas forcée par des personnages imbéciles et par un concours de circonstances assez mince, on ne se sent jamais suffisamment interpellé pour en voir les qualités plutôt que les défauts.