On imagine la vie monastique avec quelques mots clés : dévotion, humilité, réflexion, humanisme. Une vie loin du spectaculaire, où le seul spectateur est Dieu. Déjà, on remarque une importante irrégularité : au cinéma, les spectateurs sont nombreux et de tous acabits - ils ont des attentes, des préjugés, des prédispositions qui seront, au final, les seuls inhibiteurs à l'appréciation de ce film de grande qualité. Ces mots clés s'appliquent aussi à Des hommes et des dieux, le sublime long métrage de Xavier Beauvois qui prend l'affiche chez nous cette semaine, plusieurs mois après sa sortie en France.
L'histoire est celle de ces moines qui, comprenant l'importance de leur geste, décident d'opposer à la violence et au meurtre leur foi en l'humain. Leur paix intérieure est le contrepoids à la guerre extérieure, et ils le comprennent bien, préférant rester, solidaires au peuple victime de cette guerre civile plutôt que de les abandonner pour sauver leur vie. Un sacrifice qui, grâce à l'humilité du film, s'extirpe du cadre bassement humain du jugement : bonne ou mauvaise décision? Rien n'est moins important. On ne voit pas non plus comment on pourrait se demander « qu'aurais-je fait à leur place? », puis qu'il n'y a aucun point de comparaison.
La représentation est simplifiée au maximum; il n'est pas question pour Beauvois, ni pour les comédiens d'ailleurs, de tenter de surpasser le sujet, qu'on traite humblement en tout temps. C'est l'histoire d'un groupe de moines, pas celui de Lambert Wilson ou de Michael Lonsdale, et même ces deux acteurs expérimentés, des vedettes dans leur genre, le comprennent et le transmettent. Tant et si bien qu'un sublime repas, magnifié par la musique du Lac des cygnes, nous présente, comme autant de portraits (grâce à quelques plans serrés), des hommes qui auront été cohérents avec eux-mêmes jusqu'à la fin. Ils sont donc des héros de cinéma crédibles et fascinants.
On pourrait bien reprocher un certain académisme à Beauvois, qui refuse bien des artifices en voulant représenter assez simplement des moines qui prient, des moines qui cultivent leur jardin, qui soignent les malades, etc. C'est justement lorsqu'il magnifie par les moyens du cinéma qu'un film, dont la thématique est la foi, peut surpasser les cadres du monde réel pour accéder à des émotions qui, de toute façon, les dépassent. On oublie trop souvent que le cinéma peut permettre d'y accéder à de rares occasions.
Il est extrêmement rafraîchissant de voir représenter au cinéma une foi aussi cohérente que celle de ces moines. Pas besoin de partager leur croyance pour adhérer à leurs préceptes de vie, basés sur le respect de la création, sans distinction de religion. On n'aurait pas accepté - en fait, on n'aurait pas apprécié autant - si le film avait tenté d'imposer sa vision du monde; cela irait à l'encontre même de la foi de ces hommes. Et parce qu'il n'identifie pas clairement les « méchants », il gagne encore en profondeur.
Les qualités cinématographiques sont nombreuses dans Des hommes et des dieux : la lumière naturelle est ici inspirante, les compositions profondes et travaillées, les dialogues justes. On voit donc du même coup un film de qualité et une histoire d'une grande humanité.