Le processus de deuil ne se fait pas sans heurt dans Dérive, l'émouvant premier long métrage de David Uloth (réalisation) et Chloé Cinq-Mars (scénario).
Depuis que papa est décédé, sa famille peine à se relever. Maman (Mélissa Désormeaux-Poulin) cherche un meilleur emploi, pendant que ses filles adolescentes (Éléonore Loiselle, Maèva Tremblay) souffrent en silence.
Il y a toujours un risque d'aborder un sujet aussi sensible et délicat, où la tristesse ne fait souvent qu'une bouchée de l'espoir, de la lumière. Ce n'est toutefois pas le cas de ce film profondément humain qui rappelle la beauté de la compassion et de la résilience. Face à la mort qui se dresse, immuable, il y a surtout la vie.
Cela n'empêche pas l'effort d'être lourd à ses heures, passant bien près de verser dans le misérabilisme (pauvreté, agression sexuelle, intimidation). Heureusement, nos héroïnes ne sont pas de simples victimes et le scénario allège les situations de scènes plus légères, notamment avec ses références rigolotes à Kafka et Racine.
Les dialogues sonnent généralement juste, ramenant dans le droit chemin ces métaphores primaires et ces échos du passé qui ne semblent parfois exister que pour soutirer des larmes. Montrer des images d'un père disparu et de sa fillette fonctionne à tous les coups.
Ce combat entre la résistance et la violence s'effectue même au niveau de la réalisation. Sensible et attentive, la caméra s'attarde dignement à ses âmes perdues, se lovant auprès d'elles pour les remplir d'amour, s'en éloignant graduellement lorsque la réalité les bouscule.
Sauf qu'il y a les excès qui viennent un peu gâcher la sauce, que ce soit un ralenti inutile ou la musique. Bien qu'excellentes, les mélodies de Ramachandra Borcar sont beaucoup trop présentes, surlignant ce qui arrive. Les amateurs du tandem noteront également qu'ils se sont un peu assagis, surtout à côté de leur éclatant court métrage La voce.
Ces hauts et ces bas ne fluctuent pas trop sur l'interprétation, de grande qualité. Mélissa Désormeaux-Poulin retrouve enfin un rôle intéressant après le consternant Le trip à trois. Elle est allumée et déterminée, prenant soin de bien faire paraître ses jeunes progénitures qui elles, accaparent l'attention.
Éléonore Loiselle impressionne à sa première expérience professionnelle de tournage. Malgré son look de rebelle à la Noomi Rapace, c'est sa force intérieure et sa vulnérabilité qui donnent la consistance à ce personnage complexe. Aussi authentique est la charmante Maèva Tremblay, capable de se sortir de toutes les intempéries malgré des moments difficiles et quelques répliques plaquées.
Prenant l'affiche dans un début d'année exceptionnel où le cinéma québécois a le vent dans les voiles, autant au niveau des récits d'initiation adolescents (Une colonie) que des films de deuil sous fond de fantômes (Répertoire des villes disparues), Dérive risque un peu de passer inaperçu. Ce serait pourtant dommage tant sa force tranquille et son joli trio d'actrices méritent le détour.