L'idée était certes inusitée et l'allégorie derrière cet éboueur samaritain et cette jeune prostituée irrécupérable s'avère une fable urbaine/moderne poignante et révélatrice, mais quelque chose manque toujours pour que le public se sentent véritablement interpelé par les destins croisés de ces personnages complexes et intrigants. Peut-être une mise en contexte mieux définie ou une interdépendance mieux marquée auraient suffi pour resserrer le récit et permettre au long métrage de passer d'un « bon » à un « excellent » film. Ceci dit, Décharge mérite tout de même qu'on s'y attarde pour ses enjeux moraux pertinents, ses interprétations vibrantes et son traitement visuel réfléchi.
Les prestations des différents acteurs - humaines et puissantes - représentent immanquablement la qualité première de l'oeuvre. David Boutin, habitué de jouer les grands ténébreux tourmentés, livre une performance remarquable qui trouve sa force autant dans les lourds silences que la simplicité des dialogues. Sa partenaire à l'écran, Sophie Desmarais, est tout aussi compétente. Elle parvient à déstabiliser le spectateur, qui, à un certain moment, a du mal à départager le bien du mal, le gentil du méchant. Les personnages ne sont pas ceux que nous avons l'habitude de rencontrer au grand écran, ils ne sont pas unilatéraux et ne prennent pas toujours les bonnes décisions. C'est peut-être ce qui fait de Décharge une oeuvre réaliste, une étude de moeurs davantage qu'un drame fictionnel conventionnel. Le jeune garçon qui se blesse sur une seringue en jouant dans le carré de sable ou l'adolescent réhabilité qui fait une rechute et retombe dans ses vieilles habitudes sont des situations qui nous touchent puisqu'elles sont authentiques, crédibles.
Évidemment, il ne suffit pas de développer des conjonctures vraisemblables pour que l'ensemble du récit soit éloquent ou profond, le film se doit d'établir une ambiance particulière, de construire un univers cohérent pour accueillir et donner du sens à ces situations. C'est ici que le travail de réalisateur de Benoit Pilon - qui a aussi écrit les textes avec Pierre Szalowski - prend tout son sens. Ce dernier a eu la décence de laisser la place à ses comédiens et de ne pas faire de sa caméra une diversion inutile. Il y a tout de même dans son film quelques plans magnifiques et évocateurs - tel le mouvement discret de la caméra lorsque Ève chante Somewhere Over the Rainbow dans une chambre d'hôtel crasseuse - mais jamais la réalisation n’éclipse l'impérialisme du sujet ou du jeu des acteurs.
La beauté et la sincérité de sa thématique - au delà de lui administrer un caractère singulier, humain - font de Décharge une oeuvre dure qu'on ne choisit pas pour égayer une journée pluvieuse. La métaphore que nous propose Pilon entre les déchets domestiques et la société humaine est une image forte qui ne peut que se conclure que dans la déception, dans l'infortune. Ce qui, bien sûr, ne signifie pas que Décharge ne mérite pas le détour; parfois un « feel bad movie » vaut mieux qu'une autre apologie rose bonbon sur la confiance en soi ou l'amour.
L'idée était certes inusitée et l'allégorie derrière cet éboueur samaritain et cette jeune prostituée irrécupérable s'avère une fable urbaine/moderne poignante et révélatrice, mais quelque chose manque toujours pour que le public se sentent véritablement interpelé par les destins croisés de ces personnages complexes et intrigants.
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