Entre les déboires d'une « Équipe B » de super-héros peinant à intéresser le public au même titre que les Avengers originaux, l'adoption d'un ton de plus en plus moralisateur, et l'obstination à déconstruire tout ce qui avait pourtant fait le succès du studio dès le départ, dire que Marvel Studios en arrache depuis quelques années va bien au-delà de l'euphémisme.
Certes, quelle maison de production n'aurait pas éprouvé quelques difficultés à poursuivre son plan de match au-delà d'une conclusion aussi épique que celle d'Avengers: Endgame?
Le coeur du problème, c'est que la majorité des projets que les têtes dirigeantes de Marvel - se croyant alors invincibles - ont financés depuis à coups de centaines de millions de dollars se sont retrouvés entre les mains de créateurs davantage intéressés par leurs propres intérêts que par cette riche matière ancrée depuis des décennies dans la culture populaire.
Reconnaître le privilège qui leur a été donné, et traiter ces histoires et ces héros avec respect aurait déjà été un premier pas dans la bonne direction.
Par la bande, l'acquisition de la Fox par Disney nous amène aujourd'hui à l'entrée fracassante du Deadpool de Ryan Reynolds dans le Marvel Cinematic Universe.
Peu importe ce que nous pouvons penser des résultats, l'acteur canadien a toujours démontré à quel point il avait à coeur son personnage et cet univers. La question était maintenant de savoir si un réalisateur comme Shawn Levy, qui nous a surtout habitués à des comédies fantaisistes destinées à un très large public, pourrait effectuer sans trop de difficulté cette incursion dans le monde beaucoup plus sanglant, exhubérant et irrévérencieux du protagoniste.
La réponse est on ne peut plus claire dès la séquence d'ouverture, au cours de laquelle l'ami Deadpool empile les corps et multiplie les actions grotesques au rythme d'une chanson pop très connue conférant à l'ensemble son caractère totalement déconnecté. Pour le meilleur et pour le pire, les excès et l'absence totale de retenue de ces cinq premières minutes sont tout à fait annonciatrices des choses à venir.
Le bref retour en arrière qui suit est d'ailleurs introduit par un travelling nous amenant entre les fesses du principal intéressé. Évidemment.
Nous accompagnons ensuite Wade Wilson alors qu'il tente de sauver son univers, sur le point d'être anéanti à vitesse grand V par M. Paradox (Matthew Macfayden), un agent de la TVA en quête d'avancement. Notre anti-héros se faufile dès lors à travers différents univers afin de trouver un Wolverine (Hugh Jackman) qui pourrait l'aider dans sa quête.
Malheureusement, le X-Man déniché est loin d'être le plus recommandable du lot...
Afin de mettre l'improbable duo hors d'état de nuire, M. Paradox téléporte celui-ci dans le Néant, et débute dès lors une recherche incessante d'un moyen de réintégrer la réalité avant qu'il ne soit trop tard. Un périple qui mènera à plusieurs rencontres inattendues, quelques apparitions surprises absolument jouissives, énormément de violence, de jurons, et à la destruction totale du fameux quatrième mur.
Évidemment, Deadpool & Wolverine prêche par excès pour tenir à bout de bras un scénario plutôt mince, mais diablement divertissant.
Il est d'ailleurs étonnant de voir jusqu'où Ryan Reynolds et ses acolytes ont pu aller dans leur critique des insuccès de Marvel Studios, de la perte de vitesse généralisée des films et des séries de superhéros, et de la machine hollywoodienne au sens large.
Les séquences de querelles et de bagarres entre les deux personnages-titres sont d'ailleurs assez révélatrices d'une formule impliquant de plus en plus de figures à toute épreuve, et de moins en moins d'enjeux tangibles, voire une réelle impression de danger.
Comme nous pouvions nous y attendre, Reynolds et Jackman forment un excellent duo à l'écran, et le plaisir que ces derniers ont eu à manoeuvrer à travers les rouages d'un genre pour lequel la pente s'annonce de plus en plus difficile à remonter devient rapidement contagieux.
Ignorant la définition du mot « finesse », Reynolds et son équipe de scénaristes nous servent tout de même certains des dialogues les plus hilarants, incisifs et mieux tournés de la trilogie, tandis que Shawn Levy en signe la mise en scène la plus relevée. Le tout à l'intérieur d'une production prenant tous les moyens nécessaires pour faire plaisir aux fans, et tourner le dos au politiquement correct et aux innombrables sensibilités qui viennent avec.
Et ne serait-ce que pour ce simple désir d'offrir un divertissement léger, rythmé, conscient de sa propre absurdité, et n'ayant pas la prétention de vouloir accomplir autre chose que ce qu'on attend de lui, Deadpool & Wolverine respecte amplement ses promesses... même s'il a parfois tendance à vouloir en faire beaucoup (BEAUCOUP) plus que le client en demande.
Le « Marvel Jesus » autoproclamé accomplit ainsi sa mission, après que le genre eut passé beaucoup plus que quarante jours dans le désert. Au final, Deadpool est le héros que Marvel Studios mérite, mais pas celui dont il a besoin en ce moment.
Les principales leçons à retenir de ce carnage des plus flamboyants pourront-elles avoir un impact durable sur le plan de match du studio? Difficile à dire. Néanmoins, le plaisir simple et candide que devrait privilégier ce type de méga production est bel et bien au rendez-vous le temps d'un tour de piste.