Dans la course aux Oscars qui se dessine à l'horizon, Dark Waters pourrait très bien être le Spotlight de 2019: un film émouvant et révoltant appelé à changer les choses.
C'est que cette histoire vraie ne laisse pas indifférent. Une importante compagnie chimique (DuPont) est accusée d'avoir empoisonné pendant des décennies l'eau d'un état américain. Devant ce gigantesque adversaire se dresse un avocat intraitable (Mark Ruffalo) qui lui, n'a pas de ressources infinies de temps et d'argent.
Basé sur un article publié dans le New York Times Magazine, ce combat entre David et Goliath ne pourrait être plus d'actualité (faut-il se rappeler du récent scandale d'eau potable à Montréal?). Entre l'importance des luttes environnementales, la justice à long terme et l'impuissance face au système, le long métrage résonne aisément. Surtout que son riche scénario explore les zones grises de la société et des dilemmes moraux de ses personnages, s'interrogeant sur la notion d'héroïsme comme peu de productions de superhéros ont pu le faire par le passé.
Pas surprenant alors de voir Mark Ruffalo dans le rôle principal, lui qui était également de Spotlight et de Foxcatcher, qui s'intéressait déjà à un héritier de la famille Du Pont! L'interprète de l'imposant Hulk porte ce projet à bout de bras (il est aussi producteur), livrant une de ses prestations les plus fortes en carrière. Tout passe par sa voix parfois éteinte, ses regards de chien battu et ses tremblements. Une position physique quelque peu limitée - représentant celle de monsieur et madame tout le monde - qui se heurte constamment à celle disproportionnée de ses adversaires, dont son patron qui doute parfois de ses actions et qui est campé par le très grand Tim Robbins. Le casting en place (Bill Camp en fermier désemparé, Bill Pullman en avocat coloré) vient à un cheveu d'être exemplaire, avant qu'Anne Hathaway bousille tout en épouse plus ou moins crédible du protagoniste.
Ce type de récit n'est évidemment pas inédit. Pensons à tous les Erin Brockovich, Silkwood et The Insider de ce monde. La démarche généralement sobre et sombre, qui s'échelonne dans la durée, ne lésine pas sur les étouffantes scènes d'intérieur et les moments plus tristes et manipulateurs où la musique appuyée et des images d'enfants viennent soutirer l'émotion. Une façon comme une autre d'aérer l'esprit entre de nombreux échanges et dialogues bien vulgarisés.
Il ne faut pourtant pas voir là un traitement impersonnel de la part de l'acclamé cinéaste Todd Haynes, qui surfe sur le sentimentalisme depuis son précédent et mésestimé Wonderstruck. En plus de signer le premier thriller de sa carrière, il travaille pour la première fois au sein d'un gros studio américain. Un milieu qui peut être toxique et où de nombreux metteurs en scène ont perdu leur âme. Ce n'est pas le cas du créateur du chef-d'oeuvre Carol, qui a été fidèle à ses thèmes de prédilection (la figure marginale comme celle de I'm Not There, le culte des apparences et du milieu castrant à la Far From Heaven) et sa façon de réaliser, notamment en recourant à sa traditionnelle obsession de la couleur verte. Le tout est arrosé d'un peu d'humour et de clins d'oeil, dont un au légendaire All the President's Men, opus paranoïaque par excellence.
Son plus grand exploit fut d'allier à la fois le suspense et le drame psychologique, rendant le premier efficace et le second étoffé. Une réussite sur toute la ligne malgré ses quelques longueurs, et un véritable tour de force pour un film solide et captivant de bout en bout, qui rappelle la nécessité de se dresser face à l'adversité et d'honorer les victimes.