Passer un classique de la littérature à la sauce théâtrale et musicale n'est jamais un gage de qualité. Encore moins si l'on en tire une adaptation cinématographique. Faut-il seulement se rappeler de la pénible version des Misérables qui écorchait régulièrement les oreilles? Quoique plus supportable, cette variation sur Cyrano de Bergerac est loin d'être gagnée pour autant.
Au moins, elle a été effectuée avec amour. Écrite par Erica Schmidt et jouée sur scène il y a quelques années par son époux Peter Dinklage (Game of Thrones) qui défendait le rôle-titre, cette relecture doit beaucoup à l'actrice Haley Bennett (qui incarnait Roxanne) qui a demandé à son amoureux Joe Wright de la mettre en scène. Elle est loin sa période de gloire - son immense Atonement remonte déjà à 2007 - et si le surestimé Darkest Hour s'est retrouvé aux Oscars, le cinéaste britannique avait des choses à prouver après la déconfiture totale de The Woman in the Window en 2021.
Sauf que Wright n'est jamais capable de faire simple. Il possède une vision extravagante et parfois même transcendante qui se matérialise difficilement à l'écran. Le créateur de Hanna a de l'ambition à revendre, souvent un budget à faire des jaloux et s'il évite généralement le classicisme d'usage, c'est pour mieux embrasser une folie qui ne sied pas nécessairement à ses créations. Faut-il se rappeler de la surenchère de son agréable Pan?
Le voilà embrasser l'esbroufe et le grotesque. Son spectacle, sous le signe du grand guignol, ne lésine pas sur le kitch et le ridicule, mélangeant ce qui ne va pas nécessairement ensemble, ne se prenant heureusement pas trop au sérieux. Il a même le culot de débuter son long métrage par un plan guère subtil de marionnettes qui ne laisse aucune place à l'imagination. Quelqu'un va tirer les fils de l'amour. Cette personne sera évidemment lui, l'homme de l'ombre tout puissant qui orchestre son projet avec soin, le filmant avec lustre, le rythmant avec efficacité, ensevelissant toutefois au passage les mailles de l'émotion.
Plus il rajoute des couches esthétiques et plus cela se fait au détriment du récit. C'est ce qui rendait son Anna Karenina si pompeux et qui évitait, au contraire, à sa vision de Pride and Prejudice de boire la tasse. Le réalisateur a la main lourde et même les vertus du chef-d'oeuvre d'Edmond Rostand en souffrent. Le comble pour l'une des plus belles histoires d'amour jamais écrites!
Bien sûr, il faut oublier les versions légendaires avec Gérard Depardieu et José Ferrer. Faire fi de la langue anglaise qui n'est pas catastrophique, mais qui fonctionne peut-être mieux lors de transpositions contemporaines comme Roxanne avec Steve Martin ou le si sympathique The Truth About Cats & Dogs. Et se rappeler que l'on peut pratiquement mettre au goût du jour n'importe quel sujet, même si remplacer le nez proéminent du héros par la petite taille de ce nouveau Cyrano ne se fait pas sans heurts scénaristiques et moraux.
C'est encore plus douteux sur le plan musical. Les chansons, les mélodies et leurs paroles ne sont pas particulièrement agréables à entendre. On ne ressent absolument rien en les écoutant, à moins d'être amateur de sirop collant et quétaine qui déferle de partout. Le jour et la nuit avec les hymnes enchanteurs d'un La La Land ou des Chansons d'amour qui faisaient battre le coeur plus rapidement. Pourtant ils proviennent d'Aaron et Bryce Dessner de l'influent groupe The National. Les mêmes qui viennent d'offrir la jolie trame sonore de l'excellent C'mon C'mon de Mike Mills. Comme si avec le projet de Cyrano, ils ont simplifié leur travail afin de le rendre encore plus accessible.
C'est d'autant plus dommage que Peter Dinklage livre une prestation impeccable. Il est charismatique dans le rôle-titre, aussi à l'aise dans le drame que la comédie, la romance et l'action. Le protagoniste de The Station Agent se donne d'ailleurs sans compter, ce qui est tout en son honneur. Il fait cependant de l'ombre à Haley Bennett, plus à l'aise dans un registre moins conventionnel (Swallow, Kaboom), et Kelvin Harrison Jr. (Luce, Waves), un peu perdu en Christian débonnaire. Face à ce trio se dresse Ben Mendelsohn, cet immense comédien vu dans quelques épisodes récents de Marvel et Star Wars, qui interprète un De Guiche particulièrement risible et bouffon.
Arrivant un peu tard dans la récente résurgence du film musical, Cyrano ne fait pas le poids à côté de Annette, In the Heights et du remake de West Side Story. Aussi superficiel soit-il, cet effort n'en est pas moins distrayant, et s'il risque d'insulter les admirateurs, les jeunes néophytes seront initiés à un grand héros classique qui lui, mérite toute l'attention. Surtout dans ses autres incantations, débarrassées de tous ces ornements clinquants et musicaux.