Adapté d'un roman de Don DeLillo publié en 2003, ce Cosmopolis du réalisateur canadien David Cronenberg profite des nombreux aspects prophétiques du livre qui rendent ce récit particulièrement actuel. Pratiquement intemporel, en fait, tant on est à la fois dans un univers qui ressemble au passé, au présent, et à un futur proche plausible (même s'il est pessimiste) lors de cette « odyssée » à travers Manhattan en compagnie d'un jeune multimilliardaire; la figure mythologique moderne, celui dont on jalouse l'âge et le succès, qui est le symbole de la réussite comme l'ont déjà été le héros de guerre et le chevalier.
Il faut un certain temps pour entrer dans l'univers proposé par Cronenberg; au départ, le huis clos se fait particulièrement pesant, les effets spéciaux (même mineurs) pas très convaincants et les dialogues, pompeux, théâtraux et assez lourds. Puis, l'oreille s'ajuste, et l'univers trouve une cohérence globale qui vient renforcer la proposition exigeante du réalisateur. Des dialogues - qui sont effectivement lourds, mais lourds de sens - d'autant plus nécessaires que les notions de péripéties et de développement narratif s'avèrent secondaires dans le film, et qui sont d'une portée philosophique déstabilisante, donc fascinante.
À noter à ce sujet que les sous-titres français de la version originale anglaise que nous avons eu l'occasion de voir était très peu fidèles aux dialogues, à leurs doubles sens et à leur subtilité, et que ces sous-titres en français travestissent souvent les véritables intentions des personnages, en adoucissant la dureté de leur propos. Le monde de Cosmopolis est d'une cruauté et d'une froideur inouïes, qui d'ailleurs ne sont pas accidentelles et encore moins négligeables.
Cette froideur rend la quête du personnage - et du même coup la performance de Robert Pattinson - encore plus forte, métaphoriquement parlant. Comme si de la poésie découlait de cet univers intangible où on croirait impossible toute effervescence lyrique; erreur, Cronenberg en fait la preuve. L'égocentrisme, l'impression d'invincibilité, l'autodestruction sont des thématiques au potentiel poétique aussi grand que l'amour, la Nature et l'abnégation sur l'échelle de la poésie, on doit simplement les calculer en valeurs négatives. -10 est aussi « puissant » que 10.
D'ailleurs, ce film est construit sur des valeurs négatives; qu'elles soient humaines ou financières. Ce qui est déstabilisant au premier abord devient rapidement fascinant; comme si on parvenait à nous faire croire qu'il y a un large éventail de possibilités pour ensuite nous faire comprendre qu'il n'y a toujours eu qu'une seule voie. Et ça, ce n'est pas ennuyant, si on écoute attentivement et si on se laisse imprégner des valeurs poétiques : l'histoire d'un homme qui s'est isolé (physiquement et métaphoriquement) dans sa limousine et qui veut recommencer à ressentir, cela ressemble beaucoup au spectateur postmoderne. Et un spectateur véritablement cinéphile n'a d'autre choix que d'être postmoderne (mais c'est un autre débat).
Malheureusement, la toute dernière séquence du film, qui devrait être l'apogée d'une longue quête d'autodestruction à laquelle le spectateur parvient à adhérer, s'avère trop longue et trop statique. Trop absconse, trop répétitive; on avait déjà déboulonné les attentes, pas besoin de recommencer. Lors de cette confrontation finale, le spectateur est prêt à tout. À tout entendre, à tout voir. Mais non, on répète, on reformule, on explique. Pour ceux qui n'auraient pas compris.
Et malgré tout, quelque réserve que l'on ait, voilà le type de film qu'on a déjà envie de revoir.