L'image forgée par le cinéma de l'Impératrice Sissi sous les traits de Romy Schneider est empreinte d'un romanesque factice qui tranche avec celle beaucoup plus corrosive et mélancolique que propose le film Corsage.
Élizabeth de Wittelsbach, dite Sissi (Vicky Krieps), semble plutôt étouffée et même oppressée par son quotidien à la Cour de l'Empereur d'Autriche François-Joseph 1er (Florian Teichtmeister), surtout quand vient le temps de fêter son 40e anniversaire en 1877. À tel point qu'elle n'arrive plus à s'affranchir de ses obligations qui empoisonnent peu à peu son existence. S'en libérer passe par la violence (comme Lady Macbeth) ou la folie (Spencer), deux sources d'inspiration de cette trilogie non officielle sur le poids des conventions et la difficulté d'exprimer sa vraie nature.
Le long métrage se place rapidement sous le signe des apparences et du paraître. L'héroïne existe seulement dans le regard des autres. Son identité se dérobe pour laisser place aux désirs d'autrui. Pourtant, elle est en quête de sa propre voie/voix, ce qui amène une troublante ambiguïté à ce personnage insaisissable obsédé par son âge, et dont les rares sources de joie sont possibles en reprenant le contrôle de son image, par le billet, par exemple, d'une caméra qui encapsule à jamais son moi profond. Une émancipation qui sera tout sauf évidente.
Les sentiments d'amertume et de lassitude qui l'affligent en disent évidemment beaucoup sur toutes ces femmes muselées et réduites au silence, prisonnières - dans le cas qui nous intéresse - d'un corsage trop serré. Une charge féministe qui trouve un écho certain dans le monde d'aujourd'hui. Et qui devient la puissante métaphore de ces empires en déliquescence, dont le lustre d'antan tombe en lambeau comme ces décors qui s'effritent à l'écran.
De la même manière que le Marie Antoinette de Sofia Coppola qui multipliait les anachronismes, Corsage n'a que faire du biopic historique pur et dur, préférant la charge cinématographique forcément poétique aux faits plus cliniques et didactiques. Cela donne une mise en scène stylisée de la part de Marie Kreutzer, d'une fabuleuse beauté formelle (plusieurs plans sont magnifiques), portée par une bande sonore insidieuse de Camille. Mais également d'un scénario qui aurait pu être plus profond et moins répétitif tant les longueurs finissent par se faire ressentir.
Le film appartient toutefois à Vicky Krieps, cette sublime actrice qui a été révélé dans Phantom Thread et qui ensorcelle depuis tout ce qu'elle touche, que ce soit Bergman Island et Serre moi fort. La comédienne embrasse ce rôle comme s'il n'y avait pas de lendemain, ne faisant qu'un avec lui, arrivant à transcender son côté clinquant pour laisser éclater au grand jour ses nombreuses parts d'ombres. Le tout avec une subtilité, une grâce et une vigueur qui laissent béat.
Sans être aussi immense que pouvait l'être The Favourite qui palpait également du côté du drame historique féminin, Corsage offre un troublant portrait de femme, porté par une interprète en pleine possession de ses moyens. L'ensemble pourrait paraître superficiel à ses heures, mais il devient surtout le témoin de luttes constantes et d'un affranchissement nécessaire envers les diktats publics et privés qui finissent par peser sur une personne et saper toute sa force vitale. Le mythe de Sissi n'est plus, vive Sissi!