On dirait qu'Isabelle Huppert est une actrice qui s'ennuie. Fatiguée, peut-être, d'incarner toujours la même bourgeoise désagréable ou geignarde (Villa Amalia, Un barrage contre le Pacifique, L'ivresse du pouvoir), elle s'attaque ici à un rôle prétendument « décalé », qui s'avère avoir le même fond de femme intransigeante qui ne s'en laisse pas imposer. Un « esprit libre » aussi cerné par les conventions sociales, on en voit rarement. Quand la liberté se manifeste par déranger sa colocataire en parlant au téléphone en pleine nuit, on ne parle pas d'un grand affranchissement. Ce n'est pas certain qu'Isabelle Huppert s'ennuie vraiment, mais nous, ça fait déjà un bon moment qu'on est désintéressé.
Lorsque sa fille, Esméralda, lui annonce qu'elle ne sera pas invitée à son mariage, Babou, une chômeuse habituée qui vit modestement, décide de prendre sa vie en main et de décrocher un emploi. Elle devient vendeuse pour un immeuble de copropriétés à Ostende, en Belgique. Déterminée à garder son job, elle redouble d'ardeur au travail, si bien qu'elle se lie d'amitié avec la patronne. Elle fait aussi la rencontre de deux sans-abris, qu'elle décide d'aider. Cette nouvelle vie permettra-t-elle de la rapprocher de sa fille à temps pour le mariage?
La réalisation de Marc Fitoussi est compétente, même si elle ne se permet pas d'excès. C'est le cas typique d'un personnage qui fait le film; Copacabana aurait pu s'appeler Babou ça n'aurait rien changé. La caméra est donc constamment à la recherche de Babou, autant physiquement que métaphysiquement. Saisir cette femme complexe (mais construite de toutes pièces) est sa tâche principale. Les ressorts du scénario sont aussi à son service, et les quelques péripéties du film ajoutent des couches contradictoires au personnage de Babou. La complexité du personnage ne vient pas ici de sa profondeur, mais du manque d'inspiration du récit. Dans ce cas-ci, il n'est pas certain que le réalisateur comprenne son personnage.
D'autant que les personnages secondaires ne servent qu'à faire le contrepoids à celui de Babou, une femme tellement « libre » qu'elle ne se définit que par les autres. Elle est en décalage par rapport « aux gens normaux », mais elle n'a pas de personnalité propre. Elle suit indolemment le cours de son existence, mollement, à la fois victime, malchanceuse - peut-être même souffre-douleur de la vie - jusqu'à un coup de chance, plus féériquement que signifiant, qui permet au film de proposer, comme dessert, un peu de bonheur. Elle aussi y a droit, après tout...
Tant et si bien qu'on s'ennuie plus souvent qu'autrement dans cette proposition mièvre de Marc Fitoussi. Pas qu'on ait quoi que ce soit de précis à lui reprocher - le récit est pas mal, la réalisation convenue, les acteurs sont tous efficaces, même si Huppert est encore aussi prévisible que lorsqu'elle joue ses personnages « austères ». Mais le film dont il est question ici, Copacabana, poursuit dans le même esprit : froid et austère, il critique mollement des travers sociaux qui sont faciles à critiquer (les sans-abris, le système capitaliste basé sur la performance et la compétition) et n'ajoute rien au débat, se sentent forcé d'approuver le mode de vie « libre » de son héroïne. Par empathie, par bohème interposée, sans doute. Mais on n'y sent pas la conviction.