Depuis que Jude Law a revêtu la soutane dans la mini-série The Young Pope de Paolo Sorrentino, les oeuvres sur le pape abondent sur les écrans. Wim Wenders a consacré un documentaire au Pape François, Anthony Hopkins et Jonathan Pryce se livraient un duel de foi dans The Two Popes de Fernando Meireilles, et même Russell Crowe tentait de terrasser les démons dans la série B The Pope's Exorcist. C'est au tour du livre Conclave de Robert Harris d'être adapté au cinéma.
Le pape est mort, vive le pape! Mais qui sera son successeur? C'est ce que tentent d'établir les cardinaux qui participent au conclave. Les choix ne manquent pas et c'est au cardinal Lawrence (Ralph Fiennes) de veiller au bon déroulement des élections. Lorsque le processus s'enraye et que le vote devient de plus en plus imprévisible en raison d'un complot, tout peut arriver. Un peu plus et on se croirait devant un de ces fameux thrillers paranoïaques des années 1970, ceux qu'affectionnaient tant Alan J. Pakula et Sydney Pollack.
Conclave tend un miroir à la société en superposant la religion à la politique. Qu'ils se situent à gauche ou à droite de l'échiquier, les hommes de foi agissent souvent par ambitions et intérêts personnels, présentant un clergé fractionné, au bord de l'implosion. Les luttes de pouvoir se déroulent dans l'ombre et les alliances - ou les trahisons, les conspirations - sont nombreuses. Faut-il élire cet homme qui deviendra le premier pape du continent africain? Ou faut-il plutôt freiner les ardeurs de son rival qui diabolise les autres religions? Un discours didactique sur la paix et la tolérance a tôt fait de ramener les brebis au bercail, avant qu'une ironique surprise finale à la Magnificat viennent brouiller davantage les cartes.
Ces thèmes sont toutefois traités en surface. Le scénario de Peter Straughan (qui est capable du meilleur avec Tinker Tailor Soldier Spy et du pire avec The Snowman) passe rapidement sur ces enjeux importants, laissant l'ironie au vestiaire. Il préfère se concentrer sur l'efficacité de sa prémisse et les échanges corrosifs entre hommes. Les dialogues abondants ne manquent pas de punch (seuls les mots peuvent ramener les individus de bonne volonté à la raison), relançant constamment le thriller sur les rails d'une intrigue implacable, où viennent se greffer une multitude de rebondissements. Dommage qu'en privilégiant le suspense, ce soit au détriment de l'émotion et du facteur humain. Tout ce qui faisait le charme du Habemus Papam de Nanni Moretti.
La mise en scène d'Eward Berger (auteur du récent remake de All Quiet on the Western Front, qui lui a valu quatre Oscars) ne manque néanmoins pas d'assurance. Son montage est dynamique à souhait, tandis que la superbe photographie de Stéphane Fontaine (Jackie, Elle, Un prophète) explore les différentes zones d'ombres de ses personnages. Quelques magnifiques moments baignent d'ailleurs dans un clair-obscur rappelant de célèbres peintures. Si l'ensemble mené tambour battant tient en haleine, le cinéaste allemand a tendance à forcer la dose. Son symbolisme n'est pas le plus subtil (surtout lorsque le toit explose pour faire entrer la lumière de Dieu), et il a tendance à utiliser la superbe trame sonore de Volker Bertelmann (alias Hauschka) à toutes les sauces, ce qui finit par atténuer ses vertus.
Ce qui élève l'ouvrage est la qualité de sa distribution. Les Stanley Tucci, John Lithgow et autres Isabella Rossellini se succèdent à l'écran, faisant tous grande impression. C'est cependant Ralph Fiennes qui porte le récit sur ses épaules. Habitué aux rôles torturés, l'acteur anglais trouve un être à sa hauteur, amenant vigueur et complexité à l'ensemble. Sa détermination ne fait aucun doute, et son personnage semble sans cesse à un cheveux de se faire emporter par la noirceur ambiante.
Conclave aurait pu être une variation politico-religieuse de 12 Angry Men. Un huis clos verbeux d'une rare intensité qui devient le microcosme des principales luttes actuelles. Il s'agit plutôt d'un honorable divertissement sur la foi et le pouvoir, très soigné sur le plan de la réalisation et de l'interprétation, mais qui risque d'être oublié rapidement en raison d'un scénario qui est loin d'être miraculeux.