Au cours d'une des nombreuses scènes de souper qui composent Comme le feu, le personnage d'Albert (interprété par Paul Ahmarani) confronte son ami Blake (Arieh Worthalter) sur ses talents limités en matière de scénarisation. Albert lui reproche notamment son style chargé, de même que sa propension à trop s'éparpiller, à mélanger sans retenue les tons et les genres, et à ne pas lésiner sur les ruptures de rythme.
Durant cette séquence, Philippe Lesage résume parfaitement l'essence de sa propre démarche pour ce (très) long métrage de près de 160 minutes. Le cinéaste québécois cherche autant ici à faire exploser les conventions narratives que les émotions et les inhibitions de ses personnages, mais en repoussant toujours l'inévitable moment où le tout devrait déboucher sur une quelconque finalité.
Albert et Blake se retrouvent donc après s'être perdus de vue pendant quelques années, le temps d'un voyage dans la demeure située au fond des bois de ce dernier. Pour le périple, Albert est accompagné de ses deux progénitures, Max (Antoine Marchand-Gagnon) et Aliocha (Aurélia Arandi-Longpré), ainsi que leur ami Jeff (Noah Parker).
L'atmosphère est d'abord à la détente, à la bonne bouffe et au bon vin. Mais lorsque l'alcool entre dans l'équation, les querelles et les frustrations du passé refont surface, alors qu'Albert se gêne de moins en moins pour laver son linge sale en public.
Pendant ce temps, Jeff n'arrive pas à communiquer ses sentiments à Aliocha (l'amenant à se placer constamment dans une position délicate et à se mettre les pieds dans les plats), ni à trouver sa place par rapport à Blake (ne possédant pas l'assurance pour le prendre comme mentor).
D'abord, Philippe Lesage fait un usage saisissant de son vaste huis clos pour rendre les sentiments et les aversions de ses personnages de plus en plus palpables. Entre l'exploration d'une magnifique demeure qui ne manque pas de recoins (au sens littéral comme figuré) et d'une nature qui tend à ramener l'humain à sa plus simple expression, les journées se terminent autour de la table, où Albert et Blake se retrouvent toujours dans l'arène, tandis que les autres convives assistent à la scène d'un air malaisé.
Lesage épate également de par son excellente direction d'acteurs, de laquelle nous retenons particulièrement la formidable prestation de Paul Ahmarani dans la peau d'un individu névrosé, bruyant et un prisonnier de son passé, tout comme celle - plus angoissée et en quête de repères - de Noah Parker.
Surtout, Comme le feu navigue habilement entre son côté très naturel, vivant et spontané, et ses élans dramatiques et cinématographiques beaucoup plus apparents et calculés.
À travers ses moments musicaux, ses conversations qui s'entremêlent, ses changements de points de vue frontaux, et ses personnages secondaires peu élaborés, mais néanmoins concrets, Lesage donne quelque chose à voir, à vivre et à ressentir dans le moindre de ses longs plans fixes, de ses cadrages soignés et de ses lents mouvements de caméra.
Les tensions s'élèvent ainsi progressivement pendant plus de deux heures, tandis que Jeff voit peu à peu ses illusions partir en fumée, et sa vision du monde changer peu à peu.
Ceci étant dit, Comme le feu est loin d'être une proposition facile. Il y a définitivement une volonté de la part du maître de cérémonie d'amener son récit là où on ne l'attend pas, tout en donnant tout l'espace nécessaire à ses comédiens pour prendre le contrôle de l'espace.
Tous ces détours narratifs ne mènent cependant jamais à une destination claire et satisfaisante (dans le sens le plus classique du terme), ou ne repoussent les limites de la proposition aussi loin qu'ils aspirent à le faire, n'arrivant pas du coup à justifier sa durée excessive.
D'un côté, nous avons un drame dense, complexe et frontal, regorgeant de séquences vertigineuses et de prestations mémorables. De l'autre, nous sommes confrontés à un exercice ambitieux, mais qui a un peu trop tendance à garder le pied sur le frein.
Une oeuvre impressionnante dans ses meilleurs élans, mais dont l'errance narrative n'est pas toujours un atout.