Pour les amateurs d'action, Zhang Yimou sera éternellement associé à sa célèbre trilogie de wuxia dont Hero est le principal porte-étendard. Pour les autres cinéphiles, c'est l'homme qui a redonné au cinéma chinois ses lettres de noblesse avec des fresques immenses telles Raise the Red Lantern et Ju Dou. C'était bien avant l'époque des Wong Kar-wai, Jia Zhangke et autres Johnnie To. Après une longue errance de près d'une décennie qui comprend le navrant A Woman, a Gun and a Noodle Shop (un remake du Blood Simple des frères Coen) et la leçon de propagande qu'était The Flowers of War, le voilà finalement qui retrouve le droit chemin avec l'émouvant Coming Home.
La très longue introduction laisse croire à un film uniquement politisé. Pendant la révolution culturelle chinoise, un homme (Chen Daoming) s'échappe d'un camp de travail et il tente de retrouver son épouse (Gong Li) et sa fille (Zhang Huiwen). Mais cette dernière finit par le trahir, ce qui retarde de quelques années la réunion familiale. Lorsqu'elle peut enfin avoir lieu, les festivités sont troublées par l'état de la mère qui ne reconnaît plus son mari...
Contrairement au très solide Phoenix de Christian Petzold, l'amnésie n'est pas traitée ici à des fins perverses. Elle est la métaphore éclatante de cette révolution culturelle qui a marqué à jamais les esprits et dont l'épée de Damoclès affligera éternellement quelques membres de sa population. Un constat social, historique et politique qui est souvent tenu dans l'ombre, le scénario - inspiré du livre The Criminal Lu Yanshi de l'écrivaine Geling Yan - s'intéressant plutôt à des êtres humains et non à des thèses.
Le metteur en scène limite ainsi son style visuel caractéristique et flamboyant, y préférant une précise reconstitution d'époque dans des teintes de beiges et de bruns. Tout est au service des personnages qui sont riches de nuances et de complexité. Cette fille qui se sent coupable, cet époux dévoué à la recherche du temps perdu et surtout sa femme dont la vivacité de l'âme s'est engouffrée dans une longue nuit noire. Le réalisateur renoue avec son ancienne actrice fétiche et l'impériale Gong Li lui rend sa confiance en offrant une de ses performances les plus vibrantes en carrière. La voir aller n'est qu'un immense plaisir tant l'interprète continue à surprendre malgré son statut qui est confirmé depuis belle lurette.
Le récit un peu long est volontairement répétitif, suivant le protagoniste qui refait souvent les mêmes actions pour faire comprendre à sa douce moitié qu'il est revenu à ses côtés. Rapidement les écueils du mélodrame sont happés, ce qui n'est pas une première pour Yimou (avec ses beaucoup plus mièvres The Road Home et Under the Hawthorn Tree). Le mélodrame peut irriter lorsqu'il est sirupeux et manipulateur comme chez Nicholas Sparks ou Paul à Québec. Mais il est ici traité d'une main de maître, rappelant du coup Douglas Sirk et les dernières offrandes d'Hirokazu Kore-eda. L'humanité est si présente et touchante, le désarroi des êtres si palpables qu'il est impossible de ne pas fondre de larmes devant cette séance de piano et cette finale particulièrement bouleversante. Une émotion qui n'a pas été aussi déchirante au cinéma depuis un certain Interstellar.
Sans nécessairement remettre en question les horreurs du passé, Coming Home cherche à briser ce cycle de souffrance qui hante une famille comme les autres. Devant la déflagration de la sphère intime, seul l'amour peut cicatriser les plaies et c'est ce que montre ce beau film poignant, le meilleur de son créateur depuis Curse of the Golden Flower.