Coda est loin d'être le meilleur film de la dernière année. Il possède cependant tous les atouts pour triompher à la prochaine cérémonie des Oscars.
Il ne s'agit pourtant que d'un remake américain de La famille Bélier, immense succès du cinéma français en 2015. Un récit gentil, attendrissant et générique sur une adolescente (Emilia Jones) qui rêve d'accéder aux meilleures écoles afin de développer sa passion pour le chant et qui se sent obligée de demeurer auprès des siens, étant la seule de sa famille à pouvoir entendre et parler. Aussi inspirant soit-il, le long métrage peine à sortir du lot et il se veut plutôt inégal.
Cela ne l'a pas empêché de s'inscrire tôt dans l'inconscient des cinéphiles, débutant à Sundance en janvier 2021 avant de voir son influence grandir au fil des mois. Non seulement le film s'est retrouvé sur plusieurs palmarès de fin d'année, mais il a remporté des prix prestigieux. Le plus important étant celui de l'association des producteurs d'Hollywood, qui est généralement un indicateur fiable pour les Oscars.
Comment cet «outsider» peut-il se mesurer au favori qu'est toujours The Power of the Dog? Malgré ce qu'on peut penser de la fresque un brin surestimée de Jane Campion, elle offre une véritable vision de cinéma. Bien sûr, l'Académie rechigne toujours à récompenser un titre offert presque exclusivement sur une plateforme (Netflix de surcroît). Mais faut-il rappeler que Coda n'a pas pris le chemin des salles, étant présenté sur Apple TV+?
L'affrontement avec Dune semble sur papier tout aussi inégal, ressemblant à celui entre David et Goliath. En temps normal, cette spectaculaire superproduction ne ferait qu'une bouchée du petit téléfilm conventionnel tant sa façon de concevoir son art par ses images immenses se trouve dans une classe à part. Sauf que le faste de la mise en scène de Denis Villeneuve ne fait pas toujours le poids à côté de l'humanité des thèmes universels et des personnages attachants écrits par Sian Heder, dont la réalisation ne paie pas de mine.
C'est également le cas des chansons. Exit ici Michel Sardou et bonjour Marvin Gaye, Motown et Joni Mitchell. Les chorégraphies et les numéros musicaux du West Side Story de Steven Spielberg sont évidemment plus enlevants. Mais quelque part, l'émotion semble s'être perdue. Tout le contraire de cette création qui prend la peine de surligner le moindre sentiment au crayon gras, développant un contexte socioéconomique - la difficulté des pêcheurs de vivre de leur travail - qui est loin d'être négligeable.
S'échapper de ce quotidien difficile passe par l'art, rédempteur et réparateur. Surtout au sein d'une société et d'une famille qui a de la difficulté à communiquer. Une prémisse puissante déjà au coeur de Drive My Car et qui est abordée de façon plus timide et superficielle dans Coda. Puisque le chef-d'oeuvre de Ryûsuke Hamaguchi qui met également en scène un magnifique personnage sourd et muet est moins « rassembleur » qu'un Parasite, il faudra malheureusement chercher ailleurs le successeur de Nomadland, grand gagnant de l'année dernière.
Alternant avec fluidité entre la comédie et le drame en laissant tout cynisme au vestiaire (l'antithèse de Don't Look Up, quoi), ce feel-good movie s'abreuve au récit d'initiation classique où l'héroïne courageuse surmontera son lot d'épreuves, tombera en amour et trouvera sa place dans le monde. Rien de nouveau sous le soleil, surtout à côté du transcendant Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson qui arrive à faire du neuf avec du vieux... et qui s'apparente à un ovni léger et inconséquent pour une large partie des membres votants qui sont bien souvent au crépuscule de leur existence.
Sans cacher ses défauts derrière une distribution tape-à-l'oeil (l'effet Nightmare Alley) ou tout miser sur une star charismatique (Will Smith pour King Richard), Coda fait au contraire le pari de l'authenticité, entourant l'épatante Emilia Jones de véritables acteurs malentendants. Non seulement il est possible de découvrir de nouveaux talents, mais le processus d'identification s'avère beaucoup plus aisé.
La principale lutte risque donc de se faire contre Belfast. Deux histoires similaires et assez convenues sur la famille et le passage à l'âge adulte qui n'hésitent pas à manipuler leur auditoire pour les faire pleurer. La réalisation de Kenneth Branagh semblait avoir le vent dans les voiles, multipliant les hommages au cinéma (toujours une recette gagnante comme en font foi les triomphes de Birdman et The Shape of Water) tout en parlant de paix à une époque trouble où la guerre est évidemment de mise (cette fois en Ukraine).
Avec toute cette violence, ces injustices chroniques et la pandémie qui se fait toujours ressentir, opter pour un choix réconfortant et plein d'espoir comme Coda risque toutefois de faire un bien fou à pas mal de monde. Sauf au septième art qui se retrouverait devant le sacre d'une autre production anonyme, peut-être moins enrageante qu'un Green Book, mais tout aussi oubliable qu'un Argo, The King's Speach et autres Shakespeare in Love.