De la part de Jan Kounen, qui avait brillamment saisi l'attitude du déjanté 99 F pour le transposer au grand écran, ce Coco Chanel et Igor Stravinsky déçoit quelque peu. Même s'il a plusieurs qualités (surtout plastiques), le film ne convainc pas entièrement à cause d'un manque de chair et d'un rapport incertain à l'Histoire. Personnage mythique de la mode, Coco Chanel vit ici une histoire d'amour avec un autre grand nom - de la musique cette fois - dans un film qui aurait gagné à être anonyme. L'histoire d'amour est belle et fusionnelle (sa mise-en-scène en partage les qualités), les à-côtés beaucoup moins.
Sept ans après la présentation catastrophique du Sacre du printemps au Théâtre des Champs Élysées, à Paris en 1913, Igor Stravinsky fuit la révolution bolchévique avec sa famille. Invité à emménager dans la villa de Garches de Coco Chanel, qui était dans l'assistance sept ans plus tôt, il y trouve un endroit propice à la création et où il pourra s'occuper de sa femme, gravement malade, et de ses quatre enfants. Mais il y rencontre aussi la déterminée Coco Chanel, avec qui il amorce une relation amoureuse passionnée.
On s'enchante rapidement en voyant la scène d'ouverture du film - un brillant travail de mise en scène - enivrante et inspirée qui établit déjà les thématiques principales du film, soit la subversion et l'avant-garde, tout en (croyait-on) donnant le ton à un film sur l'art. Malheureusement, la suite est plus conventionnelle, refuse de prendre les mêmes risques et impressionne donc bien moins. On est sous le signe de l'efficience, on est entièrement dédié à l'efficacité plutôt que de se laisser emporter par l'inspiration qui teinte pourtant toute la première scène du film. Les directions artistique et photographique sont cependant parfaitement maîtrisées, ce qui permet au film d'avoir de magnifiques moments d'intimité.
Supérieur en tous points à Coco avant Chanel, Coco Chanel et Igor Stravinsky a au moins le mérite d'être cohérent avec le mythe « Coco Chanel », avec ce que les livres d'histoire en auront retenu : une femme moderne avant l'heure, déterminée et indépendante. Sa rencontre avec un compositeur de talent lui aussi en quête d'avant-gardisme aurait dû être plus enivrante. La faute au manque d'audace du réalisateur, à sans doute à cette pression indue d'avoir comme personnages principaux des figures (re)connues.
Les interprétations demeurent elles aussi académique, ce qui sied bien au(x) personnage(s) historique(s) qu'on met ici en scène. Mais s'ils étaient des quidams - des amoureux, tout simplement - aurait-on pu, d'abord, se consacrer entièrement à leur relation plutôt que d'aller de digression en digression vers la création, presque aléatoire, du fameux parfum « no 5 »? Vrai que d'avoir comme personnages principaux des créateurs permettait aussi (surtout?) d'aborder la création (en tant qu'acte) de front. On a pourtant choisi de ne pas s'y consacrer, préférant faire de Coco Chanel et Igor Stravinsky un simple film d'amour.