Acteur, musicien, peintre, poète, photographe, producteur, polyglotte et grand admirateur des Canadiens de Montréal: rien n'est à l'épreuve de Viggo Mortensen, qui vient avec Falling de réaliser, scénariser et composer la musique de son premier film.
Dédié à ses parents, le long métrage dissèque le mal-être familial, alors qu'un père tyrannique (Lance Henriksen), de plus en plus âgé et malade, est pris en charge par son fils homosexuel (Viggo Mortensen).
Conscient que ce sujet éprouvé peut être abordé à toutes les sauces, autant par le road movie (Nebraska) que l'épopée spatiale (Ad Astra), Mortensen a décidé d'y aller sans demi-mesure, questionnant notamment les rôles forgés par la société et la masculinité toxique qui en ressort.
Pour y parvenir, il multiplie les échanges et les confrontations, les engueulades et les disputes. Un procédé qui pourrait paraître répétitif et essoufflant dans la durée, mais qui permet de se rapprocher de l'âme de ses personnages, de leurs souffrances latentes et sous-jacentes, afin de les humaniser.
Son plus gros pari est sans aucun doute de donner toute la latitude à son antihéros détestable, dont la langue de vipère détruit tout sur son passage. La violence de ses mots est terrifiante, défiant quiconque tels les malfrats des vieux westerns à la Red River qu'il affectionne.
Pour l'incarner, il fallait un acteur de la trempe de Lance Henriksen, qui aurait sans aucune difficulté pu figurer au générique des chefs-d'oeuvre de Bergman. Éternellement associé aux classiques de science-fiction (The Terminator, Aliens), sa carrière a depuis longtemps pris le chemin de productions moins vertueuses. Mais à 80 ans, l'ours se réveille de son hibernation et il a faim, accaparant aisément l'écran de ses grognements.
Face à lui, Mortensen ne baisse pas les bras, lui offrant l'espace nécessaire sans pour autant s'éclipser totalement. L'interprète d'Aragorn trouve même un ou deux moments pour briller, ce qui arrive toutefois un peu trop tardivement. Le reste de la distribution, de bon acabit, n'arrive pas toujours à donner la profondeur requise aux êtres en place. Il y a même un caméo plutôt inutile de David Cronenberg, qui a offert quelques-uns des plus beaux rôles en carrière au cinéaste.
Un peu longuet et pas toujours rythmé, Falling évite les lourdeurs inhérentes au genre par son désir d'explorer la forme cinématographique. Pas nécessairement de révolutionner le champ-contrechamp (efficace, quoique terriblement classique), mais de miser sur la force du montage et des ellipses. Mortensen a souvent participé à des opus qui osaient en toute liberté - comme Jauja et The Reflecting Skin - et c'est ce qu'il fait ici.
Passé et présent se superposent et se répondent constamment, telle cette mémoire qui se rappelle soudainement d'une sensation ou d'une situation. Un désir de poésie qui enivre et dont le procédé peut rappeler le travail de l'immense et trop peu connu metteur en scène britannique Terence Davies.
Falling n'a rien du film aimable. Il faut d'ailleurs attendre jusqu'à la fin pour que l'émotion déferle, tout juste avant le joli générique où le réalisateur remercie notamment Guy Lafleur et Agnès Varda. D'ici là, le cinéphile se retrouve devant une oeuvre honnête et sincère, imparfaite et appuyée, mais qui permet à Viggo Mortensen de faire ses armes avec une histoire qui lui tient terriblement à coeur. Qui sait ce qu'il offrira par la suite.