En voilà un joli titre: Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau. C'est trop long dans le format standard de nommer un film et c'est justement contre les normes établies que s'attaque ce brûlot rebelle.
On assiste ici à un véritable foisonnement cinématographique. D'une durée de trois heures et des poussières, le long métrage souvent onirique convie pratiquement toutes les disciplines artistiques. Il y a une entrée en matière de cinq minutes sur un requiem déchirant, un intermède rock plus incendiaire, une danse salvatrice, une façon de parler qui évoque le théâtre, etc. Jusqu'à ces citations de Jean-Paul Sartre, Saint-Just et autres Aimé Césaire qui apparaissent directement à l'écran, des extraits d'Hubert Aquin et de Jack Kerouac, des archives de manifestations, des vidéos trouvées sur YouTube... L'ombre de La chinoise de Jean-Luc Godard plane et ce n'est pas plus mal.
Ce parti pris radical et sans concession est à l'image des personnages du film. De jeunes hommes et femmes qui tentent d'être idéalistes dans le monde d'aujourd'hui. Après l'illusion du Printemps érable et le retour à la normale, de quoi se forme l'engagement? D'actes de résistance et d'attentats qui deviennent de plus en plus violents, en espérant que la révolte ne soit pas sourde et inopérante.
En prenant soin de ne pas faire des martyrs de ces individus paradoxaux dont les quêtes s'apparentent à une véritable tragédie digne de Sophocle, le scénario chargé permet aux interprètes d'incarner royalement cette jeunesse muselée qui représente souvent des idées et des concepts. Au sein de rôles difficiles où la mise à nue est perpétuelle, Emmanuelle Lussier-Martinez, Charlotte Aubin, Laurent Bélanger et surtout l'actrice transgenre Gabrielle Tremblay livrent des prestations tour à tour courageuses et bouleversantes.
Sorte d'envers de la médaille au plus sombre et désespéré Laurentie du même tandem Simon Lavoie/Mathieu Denis et parfait complément à L'amour au temps de la guerre civile de Rodrigue Jean, Ceux qui font les révolutions... ne fait pas dans la dentelle et il risque d'être adulé ou détesté pour les mêmes raisons. Le récit dérange en exposant sans se dérober au mal-être d'une jeunesse et surtout à celui du Québec qui n'est toujours pas un pays. Un discours inspirant sur la liberté et l'identité collective qui manque volontairement de subtilité et qui pourrait paraître redondant. Combien de fois y aura-t-il des échanges de valeurs entre gens d'âges et de classes sociales différentes? Et pourquoi ne pas avoir limité toutes ces métaphores souvent élémentaires (la fin par exemple)? Le renforcement est sans doute nécessaire, mais Gilles Groulx avait traité avec plus de nuances de ces aspects sociaux et politiques sur ses nombreux opus, ce qui n'est pas toujours le cas de cet éléphant audacieux et exaspérant tout à la fois.
Malgré tous ses défauts, on a besoin davantage de films comme Ceux qui font les révolutions... Des créations singulières, ambitieuses, généreuses, parfois choquantes et sans compromis qui osent dire tout haut ce que beaucoup taisent. Surtout lorsque la forme est en parfaite harmonie avec le propos. Le cinéma québécois ne s'en porterait que mieux.