Cette maison de Miryam Charles fut possiblement l'oeuvre québécoise la plus acclamée de la dernière année sur le circuit des festivals. Depuis sa présentation à la Berlinale en 2022, le film ne cesse de circuler, figurant dans les palmarès influents, devant même être présenté au cours des prochains mois sur le prestigieux Criterion Channel. Mais quel est cet opus qui séduit tant les cinéphiles?
Il s'agit d'un objet hybride qui puise même au sein du documentaire pour faire de la fiction. Un essai délicat et méditatif qui utilise l'essence du septième art pour réparer les traumas qui hantent l'esprit. Face au mystérieux suicide de sa cousine adolescente, la réalisatrice lui imagine un avenir en la ramenant pratiquement à la vie. Elle peut ainsi continuer à rêver et à échanger avec sa famille.
Ce processus de cicatrisation sert de thérapie pour tenter de faire du sens dans ce monde incompréhensible et horrifiant. Même si le procédé est factice et prend une tournure théâtrale et polyphonique quelque peu statique, il sert de levier à une bouleversante relation mère/fille toute en nuance et en subtilité, qui rappelle l'importance de la résilience. L'émotion coule à flots et elle s'exprime davantage par les corps que les mots de ses prenants interprètes. Le scénario ayant d'ailleurs tendance à laisser dans l'ombre les explications et la psychologie des personnages féminins pour laisser le cinéma triompher.
Il s'exprime par des ellipses incroyables qui semblent superposer passé, présent et futur, ouvrant la porte aux fantômes. Ces derniers se manifestent dans différents lieux géographiques (Montréal, une ville des États-Unis, Haïti) pour former une carte de souffrance et d'espoir. Débutant à une échelle intime et microscopique par une tragédie personnelle, les visées ne tardent pas à prendre des proportions politiques et universelles en rappelant la mort brutale de populations noires et leurs traumatismes dans l'inconscience collective.
Le tout est assujetti d'un jeu sidérant sur les images et le son. Le format 16 mm et le singulier traitement audio plongent le spectateur dans l'introspection en le laissant voyager entre ici et ailleurs, en lui demandant de créer des liens avec ce qu'il voit et entend. Ce qu'il peut faire de manière cérébrale, en analysant par exemple les symboles en place. Ou en suivant tout simplement son coeur, laissant les interrogations au vestiaire pour mieux profiter de l'aventure qui ne ressemble à rien d'autre.
Le rythme lent et quelques détours plus déroutants pourront sembler sinueux, rajoutant pourtant au plaisir en place. Surtout que l'exercice imaginatif abandonne parfois le terrain narratif au profit d'une matière plus expérimentale, à l'instar des créations de Félix Dufour-Laperrière (Archipel) qui agit ici comme producteur. Malgré la lourdeur du sujet, certaines pointes d'humour émanent et elles plairont sans doute aux amateurs d'Olivier Godin (En attendant Avril).
Miryam Charles propose avec Cette maison un premier long métrage en parfaite continuité avec ses remarquables courts. Une proposition émouvante et poétique de facture durassienne et sensorielle, qui révèle une autrice authentique au style immédiatement reconnaissable, comme peut l'être celui d'un Forcier, d'un Morin ou d'un Lafleur. Voilà le vent de fraîcheur que le cinéma québécois attendait depuis longtemps.