Juliette Binoche se met aux réseaux sociaux dans Celle que vous croyez, un thriller aussi alambiqué que d'actualité.
La société d'aujourd'hui est cruelle, mettant le paraître et les apparences sur un piédestal, demandant à ses habitants l'éternelle jeunesse. Lorsqu'une mère monoparentale arborant la cinquantaine ne peut suivre la cadence, elle s'invente un avatar dans la vingtaine qui ne laisse nullement indifférent un jeune homme...
Quelques réflexions probantes sur la souffrance féminine ressortent du nouveau film de Safy Nebbou (dont le récent Dans les forêts de Sibérie n'était qu'à moitié convaincant), qui s'inspire du roman homonyme de Camille Laurens. En faisant de sa protagoniste un professeur, cela permet l'intrusion de commentaires didactiques - sur Duras, Baudelaire - exposant cette prison invisible et omniprésente.
Une riche matière première rapidement laissée en jachère, le réalisateur et scénariste y préférant une intrigue à tiroirs - ou en forme de poupées russes - qui joue constamment avec la temporalité et les points de vue (façon Rashômon). L'héroïne discute d'abord avec une psychologue (Nicole Garcia, avec un rôle faisant écho à celui des Mots pour le dire), puis une lettre arrive, modifiant tout ce qui précède. Et ce n'est que le début... Un procédé un peu fastidieux et mécanique, inutilement complexe et assez prévisible au final, sur cette façon de traiter le vrai du faux, le réel et le virtuel, le vérifiable et le fantasme.
Les mensonges mènent le bal - le spectre d'Atonement n'est jamais bien loin - dans ce jeu littéraire qui n'est pas sans rappeler Les liaisons dangereuses. L'ensemble étant propulsé par une narration hitchcockienne encore plus ludique que ce que le cinéaste proposait sur ses plus substantiels L'empreinte de l'ange (où le suspense et les illusions formaient une étonnante symbiose) et L'autre Dumas (dualité et faux-semblants).
Tout passe ainsi par le point de vue subjectif de Juliette Binoche, dont le personnage évoque le fantôme inaccessible de Vertigo et celui qu'elle défendait dans High-Life... en moins traumatisant. Sa façon de se libérer afin d'exister enfin ne peut qu'émouvoir, même si ces scènes ne résisteraient pas à une analyse psychologique fouillée. Schizophrène comme son époque, c'est un véritable plaisir à la voir aller, bien qu'elle en mette parfois un peu trop.
Sa solitude s'exprime au moyen d'une mise en scène symbolique, aux nombreux miroirs (qui servent comme toujours à exprimer sa propre recherche identitaire) et vitres transparentes (où le cinéphile est censé voir en elle comme un livre ouvert... un autre bobard, évidemment), dont la prédominance de couleurs glaciales comme le bleu, le gris et le vert annonce le froid qui la gruge de l'intérieur. Des effets efficaces, mais un peu trop élémentaires, à l'image de l'élégante trame sonore d'Ibrahim Maalouf qui tend à verser dans la surenchère.
Conte sur la fragilité de l'être humain, sa nécessité de connecter avec l'autre et la grande tentation de jouer au Dieu numérique, Celle que vous croyez possédait tout le potentiel pour devenir un film transcendant. Ce qu'il n'est que trop rarement. Il se contente plutôt d'être un simple divertissement à usage unique, pas nécessairement désagréable, seulement trop poussif et incohérent, jusqu'à sa finale douteuse qui est censée donner froid dans le dos et qui laisse complètement indifférente. C'est ce qu'on appelle une occasion manquée.