Camion est en quelque sorte la somme logique de l'oeuvre de Rafaël Ouellet. Après Le cèdre penché, Derrière moi et New Denmark, le cinéaste dégelisien (première fois que j'écris ce mot, pas eu l'occasion avant) continue de circonvolutionner auprès des thématiques de son cinéma; la route, la famille, le non-dit, i.e le non-exprimé. Car dans ce contexte de cinéma cinématographique (c'est-à-dire qu'il prend naissance dans le geste de voir des films), les choses dites ne sont pas primordiales. Ce nouveau film offre un contexte idéal pour que les qualités du cinéaste se manifestent fortement du côté de l'émotion.
C'est dans l'économie de moyens, l'efficience des dialogues (peu nombreux, mais justes), la banalité des situations et l'absence de catharsis (la vie est un long fleuve tranquille) que Ouellet parvient ici à créer le contexte propice à l'émergence d'émotions. Car, quoi qu'en pensent les réalisateurs artistes, c'est tout ce qu'on peut vraiment faire : créer le contexte, donner les outils au spectateur pour qu'il crée lui-même (ou pas) en son sein ses propres émotions. Ceux qui vous diraient le contraire pourraient bien être des menteurs ou des artistes superficiels.
On ne peut comparer les émotions, les placer dans une échelle de valeur (ma tristesse < que la tienne?) et ce qui émeut ne se partage pas vraiment. Une fascinante séquence en voiture entre les deux frères - où il s'agit de faire écouter une chanson, signifiante pour l'un et insignifiante pour l'autre - l'illustre bien, en plus de démontrer pourquoi ce Camion est si intéressant; Ouellet, par son travail minutieux sur le son, lorsqu'il amalgame de nombreuses couches sonores, permet de créer une véracité du quotidien. Qui donne le contexte. Qui jaillit à travers un montage habile et porteur de sens.
Et qui permet à des acteurs justes et sensibles comme Julien Poulin, Patrice Dubois et Stéphane Breton d'émouvoir, de déconcerter. Il sont d'autant plus à vif que le scénario n'offre pas d'effusions sentimentales comme des retrouvailles ou des aveux, de grande colère ou de défaillance émotionnelle. Leur impact se manifeste doucement, minutieusement, à travers le temps, les silences, les rapports humains. Ces personnages sont crédibles, les acteurs qui les incarnent aussi, voilà qui contribue à la création des conditions optimales pour la naissance de l'émotion.
Un peu moins la musique, cependant, qui, si elle est très jolie, est parfois envahissante - heureusement, elle n'est pas incitative et ne travestit pas les impressions. Quelques flottements se font également sentir, là où le décalage (pourrait-on parler d'absurdité?) rate parfois sa cible ou lorsque la caméra de Ouellet, qui est ici plus rigide que dans ses précédents films, ne parvient pas à englober complètement la situation. D'autant qu'il ne mise plus autant sur le langage des images pour dire beaucoup avec peu de mots.
Parlez de ruralité si vous voulez, du Vendeur ou d'À l'origine d'un cri, cela ne semble pas nécessaire, car voilà un film de Rafaël Ouellet. On reconnaît non seulement la signature, mais aussi la progression d'un cinéaste qui impressionne par sa cohérence.
Parlez de ruralité si vous voulez, du Vendeur ou d'À l'origine d'un cri, cela ne semble pas nécessaire, car voilà un film de Rafaël Ouellet. On reconnaît non seulement la signature, mais aussi la progression d'un cinéaste qui impressionne par sa cohérence.
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