Lors de la sortie de C.R.A.Z.Y., en 2005, on saluait ceci : « Le savoir-faire du réalisateur-scénariste Jean-Marc Vallée est perceptible dans cette retenue de circonstance, où les mots et les personnages ont plus à dire que la réalisation, d'autant qu'il ne se fait jamais moralisateur ou didactique. » Voilà une qualité primordiale lorsqu'on aborde des sujets universels et sociaux. Et qu'y a-t-il de plus social et universel que l'Amour? L'amour d'un enfant handicapé? Alors, disons-le sans détour : dans le cas de Café de Flore c'est... exactement le contraire. Qu'on le dise en un mot ou en cent, cela n'y changera rien : voilà un film raté.
D'abord, parce que le scénario est faible, frappé de nombreuses incohérences narratives - qu'on essaiera peut-être de faire passer sur le compte de la « grandeur des sentiments »; mais ce n'est pas parce que le sujet est « juste » qu'il est bien traité - qui viennent bloquer tout accès à l'émotion. Devant la suite proposée, lancinante d'émotions et de réquisitoires (pour le droit des handicapés, peu subtil), on n'a d'autre choix que d'être aussi choqué que déstabilisé par le peu d'invention qu'il a fallu pour unir deux histoires que tout oppose aussi mollement et maladroitement. Un peu plus et on nous faisait le coup du réveille-matin : pouf! ce n'était qu'un rêve!
Mais non. Pour un film qui proposait d'unir dans un maelström d'émotions l'histoire d'un DJ en 2011 et l'histoire d'une mère et de son enfant trisomique en 1969, voilà qui déçoit. Disons que les thématiques mystiques s'intègrent très mal lors du dénouement forcé. Café de Flore ne manque pas d'émotions, il manque d'un contexte pour les installer. Elles sont dispersées, à travers de belles images, quelques effets stylistiques et de nombreuses thématiques fleur bleue, passant du « seul véritable amour » au « petit ange descendu du ciel ». La musique - qu'on saluera sans doute sur toutes les tribunes - ne sert à rien, n'ajoute rien à ce que la musique portait déjà en elle - crier par-dessus les cris de Breathe, c'est... une scène de vidéoclip, au mieux, ce n'est pas exactement bouleversant. L'illustration bébête d'un « spectre » de l'alcoolisme n'est qu'un autre des nombreux exemples de cette quétainerie, qui atteint peut-être son paroxysme lors de l'inimitable « On se fait-tu une rechute d'un soir? ».
Que les comédiens soient bons ou non n'est pas la question. Leurs personnages leur nuisent. Il faudrait s'émouvoir du pauvre destin de Carole, qui vit difficilement la séparation d'avec Antoine. Mais cette femme, qui croit vivre l'amour dans le plus pur sens du terme, n'est pas frappée d'amour, elle est frappée de maladie mentale. Ce n'est pas l'amour qui est « exacerbé », « épique », ici, c'est un trouble grave auquel il faut être sensible. Mais pas de cette façon-là.
Ce n'est pas tout pour un film que d'être bien filmé, bien joué, bien éclairé, ou qu'il ait raison ou pas sur le traitement qu'on réserve aux enfants handicapés, il faut aussi qu'il porte en lui les rapports de force nécessaires à sa crédibilité. Ici, le récit semble tellement improvisé, retourné, manipulé, qu'on est absolument incapable de ressentir quoi que ce soit de « grandiose ». On remarque de ce fait tous les défauts.