Encore une fois ici, nous avons droit à un bon film québécois; intelligent, visuellement intéressant, bien interprété, un drame poignant aux morales fortes qui saura très certainement plaire aux critiques, mais qui, malheureusement, arrivera difficilement à atteindre son public dans les salles. Nous ne sommes pas là pour vilipender le cinéma québécois et sa « crise », mais disons que Bunker entre dans ce moule d'oeuvres noires que Vincent Guzzo (et d'autres, moins excentriques) déplore.
Mais répétons-le (c'est nécessaire de le faire), Bunker est un excellent film, même s'il ne met pas en vedette Arnold Schwarzenegger ou Chris Hemsworth. L'idée de ce bunker, éloigné dans le Nord du Québec, qui accueille chaque six mois deux soldats de l'armée canadienne, était un huis clos très intéressant. De plus, qu'il renferme un mystère aussi poignant - celui de ce qu'ils doivent protéger ou ce sur quoi ils doivent veiller - s'avère moralement intéressant. Chacun des personnages a son hypothèse sur les raisons de leur présence en ces lieux éloignés, mais personne ne sait vraiment ce qui arriverait s'ils activaient les deux clés dans la machine, comme les ordres leur ordonnent de faire si l'alarme se déclenche. Ceux qui ont écouté la série télévisée américaine Lost auront une curieuse impression de déjà vu en constatant le débat moral des protagonistes.
Le film entier repose sur la performance de deux acteurs; Martin Dubreuil et Patrice Robitaille. Les autres comédiens ne font qu'une très brève apparition au début et à la fin. Il fallait que leurs interprétations soient exemplaires pour arriver à faire transparaître toute l'émotion derrière le drame psychologique, et Dubreuil et Robitaille ont largement relevé le défi qu'on leur avait lancé. Les deux hommes sont tourmentés, chacun à leur façon, et le public arrive à le ressentir dès les premières scènes. Dubreuil livre, entre autres, un monologue magnifique sur le génocide au Rwanda. Monologue écrit, rappelons-le, par les réalisateurs Patrick Boivin et Olivier Roberge. L'ensemble des textes est aussi à la hauteur de cette conversation sur les durs revers du métier de soldat. Il n'y a pas de mots de trop, ni de silence trop vide. Le scénario est bien balancé et nous fait ressentir toute la tension et le déchirement intérieur des personnages. Boivin et Roberge sont même arrivés à inclure de l'humour dans leur film. D'extraire toute forme de comédie de situations aussi dramatiques et tragiques est un art, parfaitement maîtrisé par les deux cinéastes.
Seule la finale déçoit légèrement. On aurait aimé un revirement plus assumé, une conclusion moins simpliste que celle-ci, mais malencontreusement les derniers instants ne sont pas à l'image de l'ensemble de la production, qui est intense et intrigante. Bunker mérite qu'on s'y attarde. Il nous amène à nous poser des questions sur nos propres valeurs, sur notre relation avec l'autorité, avec la loi; qu'aurions-nous fait à leur place? Et quand un film arrive à provoquer un questionnement chez les cinéphiles, quand il ébranle ses valeurs, et les remet en question, il a déjà fait beaucoup. Plus qu'Arnold-Terminator et Chris-Thor...