Rares sont les cinéastes qui après leur plus gros succès en carrière, décident de se mettre en danger. C'est pourtant le cas de Noah Baumbach qui fait succéder à son acclamé Marriage Story le beaucoup plus périlleux et ambitieux White Noise.
Déjà qu'il s'agit d'une adaptation d'un roman du grand écrivain américain Don DeLillo, dont la matière riche et corrosive n'est pas évidente à transposer au cinéma. David Cronenberg y est parvenu avec son brillant Cosmopolis, mais pas Benoît Jacquot (À jamais) et encore moins Michael Hoffman (Game 6).
Écrit en 1985, White Noise encapsulait parfaitement les maux de l'époque. Qui demeurent toujours palpables aujourd'hui, surtout depuis la pandémie. Dans une société de consommation qui déshumanise les gens, les questions existentielles sont rapidement évacuées. Jusqu'au jour où un professeur (Adam Driver) et son époque (Greta Gerwig) les ramènent involontairement sur le tapis.
Il est facile de voir ce qui a attiré Baumbach dans ce projet. De The Squid and the Whale à Margot at the Wedding, en passant par The Meyerowtitz Stories, la famille a toujours été au coeur de ses préoccupations. Elle prend encore une fois toute la place, s'affichant dans ses beaux et ses mauvais jours, ses périodes de doutes et d'espoir. Comme toujours chez le réalisateur, le dialogue mène le bal et le scénario incisif creuse là où ça fait mal : dans la peur du monde contemporain et surtout de la mort, cette Grande Faucheuse qui hante à chaque instant. Le tout est agrémenté d'humour, d'éléments absurdes et ironiques.
Le script amène rapidement le cinéaste hors de sa zone de confort. Des scènes de rêves palpent l'horreur (faut-il se rappeler qu'il a réalisé le documentaire De Palma sur le célèbre maître du genre?), alors qu'un thriller écologique se dessine en filigrane. Du réalisme un peu plat et attendu, le récit lorgne vers le fantastique. Jusqu'à un dernier acte complètement imprévisible et tiré par les cheveux, qui a le mérite d'étonner à défaut de convaincre totalement. Au moins, il y a le générique final, une véritable référence en la matière.
Ces ruptures de ton ne sont pas parfaites. Surtout que le rythme parfois défaillant rappelle la trop longue durée de l'exercice. Comme chez Jean-Luc Godard dont il partage l'esprit, les scènes brillantes et les moments exaspérants se succèdent au tournant. L'exposé sur Hitler et Elvis laisse béat, alors que certains personnages semblent moins développés et quelques séquences plus superflues.
La qualité supérieure de l'interprétation empêche constamment le cinéphile de décrocher. Adam Driver affiche la forme des beaux jours, s'en donnant à coeur joie dans ce rôle parfait pour lui. À tel point qu'il finit par éclipser Greta Gerwig, la muse et amoureuse du metteur en scène. Don Cheadle nage également comme un poisson dans l'eau, tout comme les enfants qui entourent les héros.
La photographie extrêmement soignée de Lol Crawley (The Childhood of a Leader, Vox Lux) est une véritable ode aux années 1980, tandis que Dany Elfman offre de superbes compositions musicales enfin éloignées de l'univers de Tim Burton, se rapprochant de son travail sur Standard Operating Procedure et dénotant toujours l'influence de Philip Glass.
Imparfait, mais stimulant, White Noise est tout un pari de la part de Noah Baumbach qui explore des territoires inconnus pour lui (on est loin de l'influence de Woody Allen). Peut-être cela lui donnera le goût d'expérimenter à nouveau, comme il le faisait si bien à l'époque de Frances Ha. En attendant, il vient d'offrir un film qui est loin d'être banal, divertissant, pertinent et percutant, qui à défaut de s'inscrire parmi ses plus grands faits d'armes, présente ses obsessions d'une façon inédite.