Réussir sa biographie musicale au cinéma n'est pas donné à tout le monde. Les opus incontestables comme I'm Not There sont rares : il faut souvent se farcir dix échecs incommensurables, le plus récent étant Back to Black qui portait sur Amy Winehouse. Bolero a la particularité de ne pas être un biopic sur le pianiste Ravel, mais sur sa pièce la plus emblématique. Quoique satisfaisant, le résultat final peine pourtant à enchanter complètement.
Contrairement à son très sage Coco avant Chanel, la cinéaste Anne Fontaine a pris soin cette fois d'éviter la simple construction chronologique. Elle a privilégié les sensations et le ressenti, naviguant au fil des années à l'aide d'ellipses évocatrices. On y retrouve Maurice Ravel (Raphaël Personnaz), en panne d'inspiration, qui plonge dans ses souvenirs et ses rencontres afin de composer la trame sonore d'un ballet. Une scène émouvante, où il remonte le temps perdu et revoit sa mère, semble provenir d'un roman de Proust.
Le Boléro est une des compositions les plus célèbres au monde. L'introduction du film rappelle à quel point cette pièce a été reprise à toutes les sauces, alors que sa conclusion mentionne qu'il ne s'écoule pas un quart d'heure sans que ce morceau soit joué quelque part dans le monde. Cet air envoûtant et entêtant devient évidemment le fil directeur du récit.
Le scénario concocté par Anne Fontaine et librement inspiré de l'ouvrage Maurice Ravel de Marcel Marnat ratisse large, sans doute trop. La matière première la plus intéressante porte sur le pianiste lui-même. Sans atteindre la complexité d'un Amadeus (le chef-d'oeuvre de Milos Forman demeure LA référence en la matière), ce portrait d'un homme d'exception ne manque pas de passionner. Malgré tout son génie, Ravel demeure une figure souvent insaisissable, et le long métrage ne tente pas d'expliquer toutes ses zones d'ombres.
En revanche, l'intérêt faiblit lorsque le script s'éloigne de son sujet. Cela arrive plus souvent qu'autrement, d'une façon très moderne, en rappelant par exemple à quel point toutes les femmes dans l'entourage de Ravel l'ont inspiré et lui ont permis de s'élever. La relation avec sa muse Misia Sert (un personnage fascinant qui mériterait que son histoire soit portée à l'écran) prend d'ailleurs trop d'espace. Oser le romantisme peut être bénéfique lorsqu'on y va à fond (à ce sujet, il faut absolument découvrir La femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov), mais il ne sert ici que de remplissage.
Le film traîne d'ailleurs en longueur et aurait pu se conclure après le ballet... tout en incluant la superbe séquence finale en noir et blanc. Capable du meilleur (Nettoyage à sec, Entre ses mains) et du pire (Mon pire cauchemar, Adore), Anne Fontaine s'applique à ne choquer personne avec cet objet un peu trop lisse et anonyme, au rythme parfois chancelant. Il ne faut surtout pas s'attendre à une biographie signée par Ken Russell. Et malgré tout son bon vouloir, les lieux communs ne sont pas toujours évités. L'anecdote mène le bal, ce qui était également le cas dernièrement de Bonnard, Pierre et Marthe. La réalisatrice sait en revanche comment mettre à profit la danse et la musique, et offrir un spectacle honorable pour les yeux et les oreilles.
Elle sait surtout comment bien s'entourer. Sa distribution étincelante comprend notamment Jeanne Balibar, Emmanuelle Devos, Doria Tillier, Vincent Perez, Sophie Guillemin et Anne Alvaro. Ils sont réunis autour du toujours excellent Raphaël Personnaz. Si, depuis une décennie, l'acteur a un peu délaissé le cinéma au profit du théâtre, le spectateur se rappelle tous les espoirs fondés en lui à l'époque de Quai d'Orsay, L'affaire SK1 et Dans les forêts de Sibérie. Il compose son Ravel avec minutie, sans jamais forcer la dose, s'avérant juste et touchant, surtout dans son désir de ne pas être réduit à l'auteur d'un seul tube planétaire.
Agréable sans être exempt de fausses notes, Bolero n'est pas à un paradoxe prêt et il peine à sortir du lot, à offrir une mélodie véritablement unique. Loin d'être aussi virtuose que son sujet, le film manque de chaleur alors qu'il se voulait sensuel, et il s'avère académique même s'il tente d'aborder différemment un genre aussi éculé que le biopic musical.