Les biographies musicales sont tellement nombreuses qu'on a l'impression qu'elles sont toutes issues du même moule. C'est pourtant faux. I'm Not There permet d'explorer plusieurs facettes de Bob Dylan avec une rare virtuosité, Barbara plonge au coeur même de son cocon fragile, alors qu'Amadeus est la quintessence du genre en s'élevant au niveau du mythe.
Puis il y a Bohemian Rhapsody, qui porte sur le chanteur Freddie Mercury du groupe Queen et qui représente tout ce qui fait défaut à tant de biopics : ce résumé superficiel en deux heures d'une existence exceptionnelle, ce ramassis de scènes attendues provenant d'une fiche Wikipédia, cette satanée manie de simplifier à outrance des enjeux complexes. Peu importe si la chronologie a été altérée ou qu'un acteur diffère de son modèle: ce qui est important est de vivre une véritable aventure cinématographique.
C'est justement ce qui manque le plus à ce long métrage digne des musicographies de MusiMax. La présence de proches de la formation dans la liste des producteurs empêche d'avoir autre chose qu'un portrait lisse du leader (évidemment que le méchant de l'histoire est l'amant possessif). Entre ses traditionnels hauts et bas, le protagoniste ne semble jamais réellement vivre à l'écran. Le moindre des enjeux est souligné au crayon gras, que ce soit le fait d'être accepté de ses parents ou de former une véritable famille - un concept répété ad nauseaum - auprès de ses camarades musiciens. Quant aux dialogues, inutilement démonstrateurs, ils manquent clairement de naturel. Est-ce qu'il y a vraiment quelqu'un qui s'exprime en disant « tu pourras revenir me voir quand tu décideras de t'aimer »?
Ce n'est guère mieux sur le plan visuel. Le manque de cinéma est criant. Les plans s'enchaînent, mais ne signifient rien. Les images sont vides de sens, prisonnières de montages à l'emporte-pièce et d'effets risibles. Lorsque la musique embarque, alors là c'est la totale, il est difficile de ne pas danser ou du moins taper du pied. Sauf que chaque bonne chose a une fin et le semblant d'intrigue reprend le dessus. Les fans n'apprendront pas grand-chose de nouveau, alors que les néophytes seront marqués par les chansons. Tout le monde aura d'ailleurs le goût de regarder un vieux spectacle de Queen. Quel est alors l'avantage de cette oeuvre sans relief? Bonne question. Au moins la conclusion laisse la place qui lui revient aux hits et aux mélodies : certainement la meilleure partie du récit.
Facile d'accuser dans tout ça le cinéaste Bryan Singer. Même si ses dernières créations laissent à désirer, ce réalisateur a toujours eu un style, une vision. Ses deux premiers et excellents X-Men ont pavé la voie aux films de superhéros. Alors que The Usual Suspects est certainement le meilleur suspense des dernières décennies. Sauf qu'il a été viré avant de pouvoir terminer ce projet, remplacé par Dexter Fletcher (Eddie the Eagle). Lorsque ce sont les producteurs qui mènent le bal, c'est généralement l'art qui en pâtit.
Le seul éclair de génie est d'avoir fait appel à Rami Malek pour interpréter Freddie Mercury. La vedette de Mr. Robot ne ressemble en rien à son modèle. Il n'y avait pourtant personne d'autre que lui pour l'incarner. Au lieu de se perdre dans le mimétisme d'usage (l'effet Papillon où il singeait Dustin Hoffman), le comédien s'approprie complètement l'essence du chanteur, ce qui va au-delà de sa gestuelle et de sa façon de parler. Il ne fait qu'un avec lui et ça, c'est plutôt impressionnant. Peut-être pas suffisamment pour excuser toutes les largesses du long métrage, mais certainement pour les rendre plus tolérables.
Lors d'une discussion animée, Freddie Mercury se tourne vers ses compagnons et leur dit « il faut prendre des risques ». Dommage qu'il n'y ait personne de ce film qui l'ait entendu, car Bohemian Rhapsody aurait pu être une oeuvre géniale sur la condition humaine et son époque. Sur un être unique et un groupe qui a toujours su sortir du lot. Au lieu de cela, il ne s'agit que d'un banal téléfilm comme on en voit trop souvent. Au moins il reste la musique, éternelle, et elle, personne ne pourra nous l'enlever.