Avant même que nous puissions en voir les premiers extraits, il soufflait sur la sortie de Blonde un vent de controverse, alimenté notamment par le classement NC-17 reçu aux États-Unis.
De quelle façon le cinéaste australo-néo-zélandais Andrew Dominik (qui nous avait déjà donné les excellents The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford et Killing Them Softly) allait-il revisiter cet autre mythe américain plus grand que nature qu'est celui de Marilyn Monroe?
En adaptant le roman de Joyce Carol Oates, qui propose une relecture impressionniste de la vie privée de la star, Dominik a clairement voulu jouer la carte de la provocation comme peu de ses contemporains osent le faire aujourd'hui.
Le résultat est une oeuvre particulièrement déstabilisante, oscillant sans cesse entre le rêve, la réalité et la fiction. Ou du moins, entre les fragments qu'il reste ici de chacune de ces notions.
Blonde installe rapidement une profonde dichotomie entre Norma Jeane Mortenson, la femme fragile et profondément troubée, et le personnage public pétillant ayant le monde entier à ses pieds qu'était Marilyn Monroe.
À travers ses relations tortueuses avec les hommes, le public, et une recherche incessante d'un père qu'elle n'a jamais connu, nous suivons une femme évoluant au coeur d'un monde machiste et souvent cruel dans lequel elle est continuellement abusée, dénigrée, rabaissée, objectifiée et sexualisée.
Nous nous souviendrons d'ailleurs surtout de Blonde pour la performance à fleur de peau, bouleversante, torturée et totalement dévouée émotionnellement d'Ana de Armas, qui interprète une Norma Jeane s'accrochant à la moindre bouée pour survivre aux forts courants qui la poussent continuellement vers le fond.
Même s'il comprend son lot de scènes explicites, celles-ci n'expliquent en rien le fait que le film ait été interdit aux moins de 17 ans. Cette justification se retrouve plutôt dans la brutalité et le caractère impitoyable de la mise en scène d'Andrew Dominik. Ce dernier approche son sujet d'une façon souvent cauchemardesque, voire horrifiante, dont les élans ne nous dépayseraient pas totalement chez un cinéaste comme David Lynch.
Le réalisateur alterne entre le noir et blanc et les couleurs tantôt léchées, tantôt vieillies et saturées, élargissant ou réduisant le format de ses images aux moments les plus significatifs pour créer un ensemble particulièrement abstrait, mais dont le discours - même si Dominik a un peu trop tendance à s'écouter lui-même - demeure limpide, quoiqu'unidirectionnel.
Blonde comporte évidemment son lot de séquences chocs, notamment des scènes d'avortement, un moment d'intimité assez cru entre l'actrice et le président Kennedy, une scène de violence conjugale avec son ex-mari Joe DiMaggio, et un long segment portant sur les ravages émotionnels ayant suivi une fausse couche.
Le film s'affaire du coup à relever les facettes les plus sombres et tristes d'une vie que tout le monde de l'époque avait pu envier, sans savoir de quoi il en retournait réellement.
Dominik signe à cet égard une scène des plus évocatrices dans laquelle Norma Jeane est confrontée à une affiche publicitaire de plus de trente pieds de hauteur de Marilyn Monroe. Le problème, toutefois, c'est que ce dernier reproduit également les erreurs qu'il condamne en montrant très peu d'égards à l'héritage culturel de son sujet n'ayant d'yeux que pour cette éternelle rançon de la gloire.
Car Blonde est aussi - on s'en doute bien - un brûlot sur les coulisses d'Hollywood, sur le côté quasi barbare et l'absence d'humanité régnant sur la façon dont certaines de ses images les plus célèbres ont été produites. La direction photo de Chayse Irvin nous fait d'ailleurs souvent sentir la présence physique et le caractère omniprésent de la caméra non seulement derrière l'image, mais au coeur même du récit.
Blonde est certainement un projet ambitieux n'ayant que faire des compromis, pour le meilleur et pour le pire. L'approche volontairement confuse et le caractère parfois insaisissable, voire d'une grande prétention, de l'oeuvre sont néanmoins condamnés à ne pas faire l'unanimité.