Impossible de trouver un film plus attendu que Blade Runner 2049. Non seulement il s'agit de la suite à l'une des plus grandes fresques de science-fiction du septième art, mais en plus elle est réalisée par Denis Villeneuve.
C'est d'ailleurs le cinéaste québécois qui apporte l'âme au projet. Comme toujours chez lui, sa vision de l'image est sidérante, magnifiée par le brio extraordinaire du mythique directeur photo Roger Deakins. Sa mise en scène très cadrée, presque mathématique, souffle régulièrement la rétine, autant dans sa façon d'élaborer les couleurs que les textures. Entre abstraction et contemplation, son travail exemplaire est doté d'une plasticité qui la rend unique dans l'industrie cinématographique, surtout au niveau de la superproduction mondiale. On est ici beaucoup plus près d'un Mad Max: Fury Road que d'un Ghost in the Shell.
Ce qui fait généralement défaut dans les longs métrages de Villeneuve, c'est le scénario. C'est ce qui empêchait Arrival et Sicario d'atteindre des sommets. Blade Runner 2049 ne fait pas exception, alors que l'intrigue en mode Star Wars: The Force Awakens est à la fois une suite et une reprise du modèle original. L'esthétisme entre Moebius et Métropolis est semblable tout en comportant une sensibilité différente, le récit s'apparente encore au film noir, le rythme est lent, la raison dévore l'émotion et la musique campe à elle seule l'atmosphère. Hans Zimmer et son acolyte respectent l'esprit de Vangelis, bien qu'on entende parfois des échos de Dark Knight.
Cet effort s'avère ainsi extrêmement appliqué à défaut d'être réellement original. Malgré la présence du scénariste Hampton Fancher (qui avait planché sur le premier Blade Runner), c'est son collègue Michael Green qui prend toute la place, ramenant ses obsessions prétentieuses d'Alien Covenant sur la création et le rôle de Dieu. Son symbolisme éprouvé ne fait pas toujours dans la subtilité et il est même question des dérives climatiques, alors que l'environnement remplace les animaux du précédent volet. Le plus problématique est cependant cette façon de trop expliquer ou montrer, ce qui enlève l'ambiguïté fondamentale à la série.
Ce sentiment de redondance s'estompe heureusement au bout d'une heure. Bien que la narration ne s'améliore pas nécessairement sur les 105 minutes qui restent, les idées fécondes naissent ici et là, portant ses fruits grâce à la réalisation qui élève chacune des scènes (sauf la dernière). Les clins d'oeil au cinéma d'Andreï Tarkovski sont légion, amenant une profondeur insoupçonnée. La réflexion sur ce que c'est d'être humain prend cette fois la forme d'une entité holographique qui réserve les moments forts du lot, dont une séquence assez hallucinante qui rappelle le Persona d'Ingmar Bergman.
Puis il y a ces interrogations sur les souvenirs qui ne portent pas seulement sur les enjeux du film, mais sur la construction de cette suite. Et si le passé était plus fort que tout? Ce qui explique ce désir nostalgique de le recréer pour s'en détacher graduellement. Une métaphore qui prend tout son sens dans la relation entre les excellents Harrison Ford et Ryan Gosling, mais également entre Ridley Scott - créateur de l'opus phare et ici producteur - qui laisse voler de ses propres ailes son héritier Denis Villeneuve, conscient qu'il ne pourra jamais dépasser son maître. Le cinéaste n'aura d'ailleurs jamais réuni autant de beaux et complexes personnages féminins à la même enseigne.
Alors que tout le monde a oublié l'existence de 2010: The Year We Make Contact, la suite du chef-d'oeuvre 2001: Space Odyssey, on risque de se rappeler de Blade Runner 2049. Même s'il ne déloge en aucun cas le classique de 1982, ce nouveau film fait bien plus que recycler les thèmes en place. Denis Villeneuve a plutôt eu l'intelligence de sublimer son essence pour en tirer une véritable tragédie grecque, pleine de tension et de flashs brillants, d'une ambition démesurée.