Religion, sexe, pouvoir, violence. Il n'en fallait pas plus pour que Benedetta choque Cannes et qu'il devienne l'un des principaux scandales - l'autre étant Titane - de l'édition 2021 du plus prestigieux festival de cinéma de la planète.
C'est d'ailleurs toujours un peu le cas des films de Paul Verhoeven (Total Recall, Starship Troopers) qui ne fait jamais rien comme les autres. Même si le sujet est puissant, la provocation a toujours meilleur goût pour susciter la discussion. En abordant le sacré, plusieurs cinéastes optent généralement pour un traitement digne et intériorisé, que ce soit Alain Cavalier sur Thérèse ou Xavier Beauvois avec Des hommes et des dieux. Le créateur de RoboCop a plutôt opté pour le contraire, jouant à fond les tourments grotesques de l'Enfer (clin d'oeil à The Devils de Ken Russell), proposant presque une relecture trash de La religieuse dont l'adaptation de Jacques Rivette avait été censurée à son époque.
Ce qui est su, mais généralement tu, apparaît ici à la face du monde. C'est l'hypocrisie du clergé et la mainmise du patriarcat qui provoquent la perdition des femmes. Comment tout ce beau monde réagira face à un amour saphique évidemment interdit, un crucifix qui ne sert pas seulement à prier et des hallucinations de super Jésus - RBO aurait été fier - qui ne célèbre pas seulement les vertus de l'amour et du pardon? Même en 2021, certains ont crié au blasphème...
Il s'agit évidemment d'une tragi-comédie de la condition humaine. Une oeuvre macérée dans la violence et l'humour noir, en rupture presque constante de tons. Par son traitement hystérique, déclamé et volontairement appuyé, le cinéaste invite le cinéphile à se détacher de l'histoire (mais pas de l'Histoire) afin de la regarder autrement. Surtout que sa mise en scène soignée mais kitsch, improbable symbiose entre son propre Flesh and Blood et le Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc de Bruno Dumont sans les numéros chantés et dansés, n'est pas là pour qu'on la prenne totalement au sérieux. Le clou est enfoncé avec l'arrivée de Lambert Wilson, parfait en nonce sardonique, ou quand Charlotte Rampling déclame qu'aucun miracle ne se produit dans un lit.
Aussi amusant et divertissant soit le long métrage, il ne faudrait pourtant pas le prendre comme une simple farce. En adaptant le livre de l'historienne Judith C. Brown, Verhoeven et son complice David Birke (le duo derrière l'immense Elle) trouvent un écho certain au monde d'aujourd'hui. La peste qui y règne est autant là pour détruire les êtres qu'altérer leurs pensées. Impossible d'aller contre l'ordre établi, surtout lorsqu'on ne naît pas homme. Sauf que la résistance n'est pas futile, bien au contraire. Elle peut même inspirer, ce qu'on a vu précédemment dans le Black Blook du même auteur. Face aux poncifs aussi redondants que lassants du type «ce n'est pas toujours un avantage d'être belle» et «l'intelligence peut être dangereuse', le scénario y répond en développant une protagoniste forte qui a un contrôle sur son corps, ses envies et sa destinée. Il s'agit donc de cinéma qui répond à un acte de foi, où il faut croire en un avenir meilleur. Que le changement est possible. Face à la reproduction des cycles conservateurs, une rupture peut s'opérer, donnant une conclusion étonnante que n'aurait pas renié Quentin Tarantino.
Sans doute que l'abondance de scènes sexuelles peut paraître suspectes, surtout provenant d'un réalisateur de 83 ans qui les a exploitées de façon libidineuse dans Showgirls. C'est plus vulgaire et moins raffiné, par exemple, qu'un Portrait de la jeune fille en feu. Sauf que cela ajoute de l'ambiguïté à un projet qui est tout sauf noir ou blanc. À l'image de cette héroïne qui peut être perçue telle une dévote ou une manipulatrice. Comme dans Basic Instinct, le spectateur ne connaîtra jamais le fin de l'histoire et ce n'est guère important. Et peu importe si on adhère ou pas au chemin de croix de Benedetta qui ressemble à s'y méprendre à celui du Christ, Virginie Efira (Adieu les cons) offre une autre prestation divine dans le rôle-titre, alternant les registres de jeu avec fluidité. Elle ne fait d'ailleurs qu'une bouchée de sa partenaire Daphne Patakia, aussi monolithique qu'une statue.
S'il y a un film qui risque de diviser, c'est bien Benedetta. Brillant pour les uns, risible pour les autres, le récit ne laisse pas indifférent... et c'est tant mieux. Mieux vaut une création imparfaite qui prend des risques en empruntant des détours peu orthodoxes - et qui se casse même la gueule en cours de route - qu'une banale vue tiède et balisée, inoffensive et vite oubliée, comme il s'en fait plein.