Le maître de l'horreur Ari Aster débarque toujours là où personne ne l'attend. Avec Beau is Afraid, il signe un cauchemar perturbant, son plus étonnant et clivant à ce jour.
Son troisième long métrage se démarque de ses précédents et excellents Midsommar et Hereditary en utilisant le cinéma d'épouvante comme la métaphore de la santé mentale défaillante de son héros. Beau (Joaquin Phoenix) est en thérapie, marqué par son passé. Il doit bientôt s'envoler pour rejoindre maman afin de souligner l'anniversaire de la mort de papa. Mais lorsque le destin en décide autrement, il fera l'impossible pour retrouver celle qui l'a mis au monde.
La première partie de cet opus tourné à Montréal ressemble à un mauvais rêve dont on ne peut s'éveiller. Le protagoniste y est coincé et tous les éléments qui l'agressent sont peut-être une projection de son esprit. La réalité se voit ainsi déformée, ce qui amène leur lot d'interrogations et de frissons. Puis le récit s'élargit et il devient encore plus étrange et inquiétant, déroutant allègrement un spectateur moins habitué à ce type d'expérience surréaliste.
Il faut voir le tout comme une séance de psychanalyse, qui emprunte autant à David Lynch qu'à Charlie Kaufman, à Yorgos Lanthimos qu'à Luis Bunuel. Les symboles freudiens sont nombreux et il faudra plus d'un visionnement pour les décoder. Comme toujours chez son créateur, la famille est source de conflits et il propose une relation mère/fils extrêmement toxique. Et dire qu'il s'agirait de son film le plus personnel! Évidemment, la charge est tellement appuyée qu'il ne faut pas nécessairement tout prendre au pied de la lettre tant l'humour noir a parfois le dernier mot.
Sur une lancée irrésistible depuis le Joker et C'mon C'mon, Joaquin Phoenix offre une autre performance exceptionnelle. Il est d'abord amorphe, avant de se métamorphoser peu à peu selon les péripéties, faisant pitié tout en cultivant une certaine ambiguïté. L'acteur caméléon demeure l'engrenage principal de l'ouvrage, apportant émotion et incompréhension à un scénario brillant aux ramifications multiples.
Il est alimenté par un réalisateur qui ose un cinéma total, passant sans broncher de la satire au mélo puis à l'horreur. Une séquence poétique fait appel à l'animation et elle a été confiée aux bons soins de Cristobal Leon et de Joaquin Cocina, le duo derrière le remarquable The Wolf House. De quoi élever une mise en scène déjà imaginative qui séduit autant dans l'utilisation des ellipses que dans la création d'ambiances lourdes en recourant aux mélodies de Bobby Krlic, alias The Haxan Cloak.
Sans doute que sa trop longue durée - trois heures - risque de jouer contre Beau is Afraid. Tout comme son rythme qui aurait pu être plus soutenu et sa finale qui laisse de glace. Entre ambition et prétention, il n'y a parfois qu'un pas que le film franchit allègrement. Mais le cinéphile qui est prêt à jouer le jeu et à s'investir se retrouvera devant l'une des expériences les plus déboussolantes de l'année. Lorsque l'art se veut aussi surprenant et singulier, on ne veut que s'y intéresser en allant s'y perdre.