Alejandro Gonzalez Inarritu est un immense artiste et un des plus grands cinéastes en activité. Auteur de films réputés comme Babel et 21 Grams, il a remporté l'Oscar du meilleur réalisateur pour Birdman et The Revenant. Plus de deux décennies après son virtuose premier long métrage Amores perros, il est de retour dans son Mexique natal pour Bardo, False Chronique of a Handful of Truths, un projet éminemment personnel. Son premier film en sept ans... et son premier revers cinématographique. Un échec spectaculaire à bien des égards.
Le voilà qui s'intéresse au parcours d'un journaliste et documentariste à succès (l'excellent Daniel Giménez Cacho, vu récemment dans l'éblouissant Memoria d'Apichatpong Weerasethakul) qui habite Los Angeles depuis plus de 20 ans et qui est obligé de revenir à Mexico où l'on doit lui remettre un prix important. Un voyage aux sources qui le plongera dans une véritable crise existentielle.
Bardo est un flamboyant autoportrait d'Inarritu, qui ne tente même pas de se dissimuler derrière son héros. Le genre de la biographie fantasmé peut toucher l'apothéose lorsqu'il est bien exécuté (impossible d'oublier le chef-d'oeuvre 8 1/2 de Fellini), mais il peut également irriter profondément. C'est le cas de ce projet narcissique et prétentieux, d'une profonde suffisance, qui s'échelonne sur 159 longues et pénibles minutes. Le metteur en scène a pourtant raccourci son montage de 15 minutes après l'accueil glacial réservé à la Mostra de Venise. Rien n'y paraît puisqu'il s'agit de vignettes interchangeables, jamais fondamentales et peu mémorables.
Il y en a bien quelques-unes qui impressionnent sur le plan esthétique et poétique. Comme cette sexy course au fantôme dans un appartement, cette séquence dansée en faux plans séquences comme hommage à Birdman et cette discussion au sommet sur des corps humains. Mais ce sont de fulgurants flashs isolés qui doivent beaucoup aux images exceptionnelles de Darius Khondji (le directeur photo des derniers opus de James Gray).
Pour le reste, le créateur du mélo Biutiful se vautre dans l'exercice de style pédant et complaisant, imitant tout n'importe comment, de Luis Bunuel à Alejandro Jodorowsky, en passant par Terry Gilliam et Paolo Sorrentino. Il se perd dans le symbolisme primaire, le surréalisme à deux sous et le réalisme magique de pacotille, arrosant le tout de bons sentiments et de musique dégoulinante qui finit par détruire l'émotion. Avant d'expliquer les tenants et aboutissants des premières scènes qui étaient déjà évidentes. C'est aussi ambitieux que stérile tant la mécanique tourne rapidement à vide.
Peut-être que le résultat serait plus supportable s'il n'embrassait pas autant de thèmes. Il y a les quêtes intimes (désordre identitaire, échanges avec le père et le reste de la famille dont cet enfant mort prématurément, la nécessité d'être fier de sa vie et tous ces souvenirs qui reviennent hanter...), et professionnelles (pensum sur le travail, l'art et cette façon de le faire exister dans l'espace public, la responsabilité du documentariste avec son sujet, etc.), en plus de viser plus large et de traiter des relations entre les États-Unis et le Mexique, avant de réfléchir sur l'histoire de son pays d'origine et de son amnésie collective. C'est beaucoup trop. Surtout que tous ces sujets sont traités en surface, inégalement, avec un humour noir enfantin ou un sérieux trop verbeux, et qu'ils s'intègrent mal ou pas au récit. Comme si le réalisateur en voulant parler de tout, finit par parler de rien. Ou simplement de lui, en s'admirant le nombril, en réglant ses comptes sans jamais inclure le spectateur dans la danse.
La déception est d'autant plus grande qu'elle provient d'un cinéaste brillant qui, à l'instar de Midas, transformait tout en or. C'est bien beau lui offrir sur un plateau d'argent une totale liberté créative. Mais il ne fallait pas le laisser se perdre dans ses chimères de grandeur, où l'ego a fini par prendre le dessus sur le portrait épique et personnel de son existence. Comme Icare avant lui, la chute sera brutale pour Alejandro Gonzalez Inarritu. Mais il s'en remettra. Il possède trop de talent pour ne pas rebondir.