Peut-être que dans vingt ans, on parlera de Babine comme d'un moment marquant de notre cinéma. Vrai, on a rarement vu autant d'inventivité déployée pour un film québécois et c'est tout à l'honneur de ses créateurs. Vrai aussi qu'on n'aurait pas besoin de tous les doigts d'une main pour compter les films qui abordent ce type de fable avec ce ton excentrique qui a fait le succès de Fred Pellerin. Du Forcier mais en plus heureux, mélangé avec du Del Toro, en quelque sorte. Sauf qu'entre le conte et le cinéma, il y a une énorme différence, et la simplicité avec laquelle on a réglé les problèmes d'adaptation entre les deux étonne et désespère à la fois. Les comédiens pourront faire tous les efforts qu'ils veulent, les solutions proposées pour que le scénario (et par extension le cinéma) qui disent ce que Pellerin disait si bien dans son conte sont souvent d'une simplicité à faire passer Babine pour un intellectuel incompris.
À St-Élie-de-Caxton, le fou du village, c'est Babine. Fils de la sorcière, il semble avoir jeté un mauvais sort sur les habitants du village, mais le tout demeure inoffensif. Un soir pourtant, le feu ravage l'église et la paroisse doit se trouver un nouveau curé qui, dès son arrivée, tente de trouver un coupable pour l'incendie. Tous les indices pointent vers Babine, mais Toussaint Brodeur refuse de croire que le jeune homme ait quoi que ce soit à voir avec cette histoire.
Ce que je tente désespérément d'exprimer, c'est que Babine a, du moins en théorie, tout ce qu'il faut pour rallier l'ensemble de la population cinéphilique occasionnelle du Québec, mais que cela ne suffit pas. Des vedettes et des comédiens (notez la nuance) talentueux qui ont l'occasion de sortir de leurs rôles habituels. Marie Brassard est toujours délicieuse et Luc Picard est un acteur de très grand talent, qui force une immédiate empathie. Vincent-Guillaume Otis aussi impressionne, parce qu'il sait éviter la simplicité dans ce rôle de simple d'esprit tellement bien intentionné. Dommage qu'Alexis Martin, l'un des plus grands acteurs du Québec, surpasse la caricature pour tomber dans la grandiloquence pure. Mais le problème n'est pas là.
Il se situe plutôt du côté du scénario, où les fins jeux de mots de Pellerin sont forcés par tous les trous de son récit (et ils sont nombreux). Il ne s'agit pas de juger si on peut être enceinte pendant plus de vingt ans ou si les horloges poussent ou pas (bien sûr qu'elles poussent!), mais lorsqu'on a à notre disposition une banque de personnages aussi riches (dont une fille de forgeron qui « s'effeuille la marguerite pour s'avoir s'il m'aime encore ») le soir venu), il est regrettable de ne pas les utiliser. D'autant qu'il faut près d'une heure pour que tous les éléments tombent en place et que la véritable histoire s'enclenche. Pourtant, le récit trouvera quand même le moyen de s'égarer lors d'une fugue et d'une surprenante (dans le mauvais sens) séquence au cirque.
Un univers où on se lève la nuit pour se parler à soi-même, où on voit le passé en fumant des choses et qu'il nous est montré dans un grand claquement de porte, ce n'est pas comme cet univers magique de conte sans fées offert par Pellerin, c'est du cinéma simplifié. Et même s'il sera toujours vrai que d'envoyer un enfant cueillir des glaçons pour tricoter une tempête de neige est une image magnifique et belle et que Babine en regorge, il n'aurait fallu que d'un peu plus de rigueur (de temps!) et d'expérience pour que le projet soit entier et transcendant.
Même s'il sera toujours vrai que d'envoyer un enfant cueillir des glaçons pour tricoter une tempête de neige est une image magnifique et belle et que Babine en regorge, il n'aurait fallu que d'un peu plus de rigueur (de temps!) et d'expérience pour que le projet soit entier et transcendant.
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