Adapté du roman éponyme de Daniel Pennac, Au bonheur des ogres propose un récit inventif et coloré en plus de pouvoir miser sur des acteurs charismatiques... du moins, lors de la première partie. Lors de cette introduction, le film installe un univers légèrement décalé qui souligne subtilement des travers de société bien ancrés et actuels et qui place cette histoire au-delà des considérations réalistes et qui la rend unique. Dommage que le dénouement ne parvienne pas à maintenir la même magie.
Bourré de savoureux clins d'oeil (tirés, pour la plupart, de l'écriture riche de Pennac), Au bonheur des ogres est en premier lieu amusant et mystérieux, car lorsqu'il dénonce, il le fait subtilement. Le héros, Benjamin Malaussène, travaille comme bouc-émissaire dans un grand magasin de Paris (le Bonheur Parisien); son métier, c'est de se faire engueuler par le responsable jusqu'à ce que les clients insatisfaits, devenus mal à l'aise de le voir ainsi, retirent leur plainte. L'ironie, ici, est savoureuse... Comme le sont d'ailleurs les dialogues, fins et colorés.
La vie de famille de l'attachant Benjamin est aussi plutôt compliquée, et la mise en scène l'illustre bien; c'est la découverte des personnages et de cet univers unique qui est fascinant. Les comédiens, de Raphaël Personnaz et Guillaume de Tonquedec aux jeunes enfants, en passant par Emir Kusturica, contribuent tous à les rendre suffisamment mystérieux pour maintenir notre attention, dans l'attaque du prochain revirement. Malheureusement, une fois cette étape passée, alors que le récit glisse lentement vers sa conclusion, on perd cette magie, ce charme, au profit d'une simple résolution technique bien moins inspirée, qui abandonne même son petit côté subversif.
Il est vrai que le noeud de l'intrigue - cette enquête liée aux attentats perpétrés dans le magasin - n'est pas le plus passionnant. Les enjeux impliquant le personnage de « Tante Julia » (une Bérénice Bejo qui ne semble pas être dans le même film que les autres) ne convainquent pas vraiment non plus. Le réalisateur Nicolas Bary ne parvient pas à dynamiser ces aspects du récit, qui paraissent plaqués, comme le dénouement, lui qui maîtrisait pourtant les nombreuses références du long métrage. C'est le récit qui flanche, pas nécessairement son travail...
Dommage, car Au bonheur des ogres parvenait à placer son récit dans un contexte différent, le rendant de ce fait bien différent de la majorité des films familiaux à sortir sur nos écrans. Mais le défi est à moitié relevé seulement, et le long métrage perd son aspect inédit après une introduction prometteuse.