Le film Antigone a le vent dans les voiles et il est le représentant du Canada pour les Oscars. Une sélection tout indiquée.
Évidemment, notre tête de cinéphile aurait encouragé La grande noirceur ou Soleils noirs et les tripes seraient allées avec Une colonie ou Genèse. Sauf qu'il faut avoir du culot pour transposer le chef-d'oeuvre de Sophocle en faisant écho à l'affaire Villanueva. Le passé garant de l'avenir s'illumine à nouveau pour laisser place à d'éternels questionnements.
La justice de la famille doit-elle prévaloir sur celle des lois de la société? Qu'en est-il de la désobéissance civile? Du racisme lié à l'intégration? Une multitude d'enjeux sociaux, politiques, économiques, éthiques et moraux qui résonnent allègrement en suscitant la réflexion.
L'héroïne a choisi de suivre son coeur. Une décision noble qui est tout en son honneur. Après la mort d'un frère et l'arrestation de l'autre, l'adolescente décide de se sacrifier en prenant la place de son frangin emprisonné (un peu de la même façon que dans Une femme en guerre), braquant les projecteurs sur sa cause. Rapidement, un capital de sympathie se crée, au même titre qu'un élan de solidarité.
Cette Jeanne d'Arc évolue au sein d'un clan familial tissé serré, parfois obscurci par des souvenirs d'une enfance traumatisée. Le réalisme des situations prédomine, une véracité à la Kechiche jusque dans la nourriture et ce mélange de cultures. À quand remonte le dernier long - ou court - métrage québécois dont les trois personnages principaux sont des femmes d'origine maghrébine? Surtout que la majorité des êtres qui défilent à l'écran sont des non-acteurs.
Dommage que hors de ce milieu, l'effort ne soit pas aussi convaincant. Une amourette entre la protagoniste et un camarade de classe peine à convaincre tant elle est idéalisée, tout comme ces discussions empotées entre ce prétendant et son père politicien. Le scénario, naïf et simpliste à ses heures, ne gagnera pas un prix pour sa subtilité, prêchant par ici et manipulant par là afin de provoquer un maximum d'émotions fortes.
L'ensemble est soutenu par une mise en scène expressive et colorée, jusque dans ses excès. En fait, tout est amplifié, d'une intensité démesurée et immédiate, rappelant la tragédie en place. Un changement radical de cap pour sa cinéaste Sophie Deraspe, dont les meilleurs opus (Rechercher Victor Pellerin, Les signes vitaux, Le profil Amina) naviguaient davantage dans les eaux de l'intériorité et du non-dit.
La créatrice des Loups s'amuse cependant à rendre justice au classique grec vieux de près de 2500 ans, notamment par des clins d'oeil à Tiresias (superbe scène onirique) et à Oedipe roi. Sa plus belle trouvaille est d'avoir utilisé les médias sociaux comme choeurs de la cité, se laissant aller avec sa réalisation, son montage et sa musique afin de recréer cette cacophonie incessante.
Peu importe son opinion sur cette relecture, d'aucuns seront happés par la performance incendiaire de Nahéma Ricci. Cette jeune comédienne, aperçue dans le long métrage Ailleurs de Samuel Matteau, brûle l'écran de son charisme, de sa sensibilité et de sa fougue. Elle porte le film sur ses frêles épaules, bouleversant de son regard unique.
C'est d'abord et avant tout pour elle que cette nouvelle version d'Antigone mérite le détour. L'actrice incarne admirablement cette jeunesse qui a soif de changement et qui laisse sa trace dans un monde contemporain qui se soucie de moins en moins de son prochain. Une véritable lueur d'espoir capable d'éclairer la noirceur d'une oeuvre cinématographique imparfaite (la finale fait sourciller), qui a toutefois le mérite de ne pas laisser indifférent.