Chaque année, certains films sont anoblis par la réputation qui les précède, si bien qu'on en vient à ne plus les voir pour ce qu'ils sont lorsqu'ils arrivent finalement sur nos écrans. La véritable controverse de Cannes 2009, le film Antéchrist, de Lars Von Trier (dont le nom connote déjà), est l'un de ceux-là. Oeuvre prétentieuse au possible et profondément simpliste, ce nouveau film du suzerain danois (qui a, en plus de ses admirateurs, des admirateurs qui admirent ses admirateurs) s'avère être un exercice public de masturbation, qui choque pour le plaisir et qui illustre bien maladroitement l'aspect primal, bestial, de l'être humain.
Von Trier, sa caméra à l'épaule et son minimalisme (à l'exception, bien sûr, de la séquence d'ouverture, qui atteint les seuls véritables moments de grâce de cette production cinématographique), frisent parfois la caricature. Le réalisateur se pastiche lui-même, prouvant une nouvelle fois que si Antéchrist n'était pas signé de son nom, il ne recevrait pas le quart de la moitié de l'intérêt qu'on lui porte. D'abord parce qu'il ne le mérite pas, mais aussi parce qu'il semble de plus en plus évident que Von Trier ne s'y intéresse pas tellement non plus; en tout cas pas autant qu'il s'intéresse aux réactions qu'il cause. Choquer pour choquer, voilà qui n'est pas digne de l'auteur de Dancer in the Dark et de Manderlay.
D'autant que la signature de Von Trier, s'inspirant d'un Dogme édulcoré, n'est absolument pas au service du film et de sa thématique. Il faudrait peut-être commencer à envisager (du moins, à s'interroger tout haut) que le réalisateur doive être au service du film, et pas l'inverse. Les cadrages serrés de Trier étouffent même les prestations convaincantes de ses deux comédiens principaux, qui sont entièrement dédiés. On ne peut que prêter des intentions à Von Trier, bien sûr, mais le symbolisme réducteur de son oeuvre (en particulier son absconse finale) éloigne encore davantage son film de l'expérience socio-artistique pour en faire un simple brûlot bâclé qui aborderait tout simplement, mais avec grandiloquence, une scène primitive inversée. La culpabilité, le désir, le sexe? C'est tout?
Une chose est certaine, cependant, c'est qu'Antéchrist est du cinéma, en tant qu'art spécifique et pas seulement comme l'amalgame de plusieurs arts différents (littérature, théâtre, photographie) comme on le méprend souvent. Le film de Von Trier, aussi désagréable soit-il, propose une véritable réflexion sur le médium, comme l'a toujours fait Von Trier dans le passé, avec plus ou moins de succès cependant. À la différence que cette fois-ci, la thématique est délibérément impénétrable. Cela ne serait pas un problème si l'évocation émotive était suffisante; malheureusement, Von Trier se contente de peu techniquement et semble avoir oublié que l'odieux et le voyeurisme sont des moteurs du cinéma, pas des inhibiteurs, et que ceux qui se braquent, s'indignent, sont en fait ceux qu'il est le plus facile de manipuler.