Un film. C'est tout ce que cela a pris à Alex Garland pour être un des réalisateurs les plus prometteurs du moment. Suite à son très solide Ex Machina, le talentueux Britannique reste dans les eaux de la science-fiction avec Annihilation en transposant le premier tome éponyme de la populaire trilogie de l'auteur Jeff VanderMeer.
Cette histoire de zone mystérieuse où viennent se perdre des scientifiques n'est pas sans rappeler Stalker, un livre qui a donné naissance à l'éblouissant long métrage d'Andreï Tarkovski. En fait, Annihilation est un croisement entre ce classique et Solaris, un autre des chefs-d'oeuvre du cinéaste russe. Le récit intriguant au possible pose des questions probantes sur l'inconnu, l'humanité, la science, l'amour et Dieu sans se défiler. Tout cela grâce à la quête de l'héroïne (Natalie Portman, complètement dévouée) qui, pour comprendre ce qui est arrivé à son mari (Oscar Isaac, à mille lieues des derniers Star Wars), décide d'explorer un endroit fabuleux où l'on ne revient généralement pas.
Elle le fait en compagnie de quatre autres femmes, toutes scientifiques, donnant une allure d'odyssée féministe à l'ensemble. Une fois qu'elles pénètrent ce lieu fantastique, les menaces grondent, prenant une forme plus classique, près de celle de Ridley Scott sur ses Alien et autres Prometheus. Il y a des bêtes sauvages tapies dans l'ombre qui n'attendent qu'à rugir. Malgré quelques lieux communs, une surabondance d'explications, de trop nombreuses ellipses sentimentales et un rythme instable, l'intérêt ne dérougit pas. Il y a quelque chose de vraiment obsédant, hypnotisant et de viscéral dans cette aventure, dont les détails visuels sont aussi envoûtants que la trame sonore mystique de Geoff Barrow (de Portishead) et de son comparse Ben Salisbury.
Cela n'est pourtant rien devant le dernier tiers, fort en psychotropes, qui lorgne un peu, beaucoup dans les platebandes de Stanley Kubrick et de son immense 2001: A Space Odyssey. Le procédé pourra paraître ridicule pour certaines âmes (surtout en se rappelant du Interstellar de Christopher Nolan, dont la joute émotive était peut-être plus réussie), mais les autres seront fascinés et ébahis par cette prise de risques, cette façon de faire naître de nouvelles interrogations aux nombreuses questions déjà en place. La finale, d'ailleurs, laisse stupéfaite.
Annihilation n'est pourtant pas une création trop dense ou opaque, loin de là. Comme les meilleures offrandes horrifiques des dernières années (Get Out, It Follows, The Babadook), il s'agit d'une métaphore qui agit à différents niveaux. Le combat entre l'intelligence et la nature fait constamment rage, poussant un dérèglement de la Terre, en proie à d'incessantes mutations. La fable environnementale s'avère donc puissante, rappelant par ses bêtes, sa matière qui corrompt et ses immenses animaux quelques opus d'Hayao Miyazaki.
Puis il y a cette métaphore sur le couple, où les cellules se fondent et se déforment, selon le niveau de satisfaction ou de chaos. Tout part de là, créant des cauchemars terribles, de l'autodestruction disproportionnée, pour se résorber grâce aux efforts, au temps et aux changements. Un peu plus et on se croirait dans une variation à peine plus sobre du mother! de Darren Aronofsky.
Sans être aussi ambitieux et coûteux que Blade Runner 2049 (il ne faut surtout pas comparer la qualité des effets spéciaux), Annihlation rappelle que la science-fiction n'est jamais aussi foisonnante que lorsqu'elle se met en danger et qu'elle tente de sortir des sentiers battus en arpentant de nouveaux territoires. Payant hommage aux maîtres du genre tout en empruntant une voie distincte et en trouvant ses couleurs propres, Alex Garland signe un second long métrage fort satisfaisant, revenant sur les fondements de son propre Ex Machina pour mieux les élargir. Voilà un nom sur qui on risque de pouvoir compter pendant encore longtemps.