La fascination qu'exerce Anne Hébert sur les lecteurs d'aujourd'hui est davantage liée à son écriture fulgurante qu'à sa personnalité, demeurée secrète tout au long d'une carrière partagée entre Paris et les grandioses paysages québécois. C'est ce qui explique peut-être les intentions qu'on lui a prêtées au cours de sa vie et qui ont fait de l'ombre à son oeuvre. Quoi qu'il en soit, le cinéaste Michel Langlois part d'une anecdote l'impliquant, alors qu'il travaillait comme serveur dans une auberge de Charlevoix et qu'il a côtoyé la célèbre auteure à l'été 1975, pour proposer, à partir de ce moment qui n'a été important que pour lui, un film personnel, intime, miné dans sa définition même par des intentions égocentriques. Anne des vingts jours, c'est une page volée dans le journal intime de quelqu'un; nous n'avons pas à la lire, et on n'a rien à y gagner d'ailleurs.
Anne des vingt jours ne permet pas de mieux comprendre la personne qu'était « véritablement » Anne Hébert, qui n'a dans le film qu'une présence fantomatique tirée de souvenirs, de poèmes ou de lettres plus ou moins véridiques et/ou inspirées, lus, parfois, par Andrée Lachapelle, parfois par Jane Birkin, qui n'a finalement rien à voir avec tout ceci. Le reste se résume à des rencontres d'amis, anodines, sans véritable impact, à des moments fugaces, rappelant une vision stéréotypée de la poésie et de l'Art (qui ne serait que nudité et nature) et des reconstitutions minimalistes, centrées sur la présence d'un réalisateur en quête constante d'approbation, qui ne cesse d'ailleurs de se citer lui-même. Le film, pourtant court, sous-tend constamment une boutade bien vaine : « Moi, j'ai rencontré Anne Hébert, et pas vous. »
L'exercice est bientôt laborieux, redondant et narcissique, et à l'intérêt bien mince pour un observateur externe. Il ne s'agit pas ici de juger de la valeur ou de l'importance humaine de la rencontre entre Anne Hébert, sa poésie, et le réalisateur Michel Langlois, mais plutôt d'examiner la valeur cinématographique d'une telle rencontre, qui est quasi nulle, quarante ans plus tard, sans les images, sans même un semblant de portrait de la poète. Lorsque le réalisateur propose une réflexion intéressante sur les souvenirs inventés en fin de parcours, il est déjà trop tard, et même le court film (qui, de toute évidence, sera mieux formaté pour la télévision) est encore inutilement long pour la valeur de la réflexion.
Anne des vingt jours est donc une opportunité ratée; oui de rencontrer par procuration une poète étonnamment méconnue malgré l'ampleur de son oeuvre, mais aussi de réfléchir à l'influence qu'une rencontre aussi évanescente a sur les principaux intéressés. L'admiration, dans un contexte cinématographique, ne suffit pas. On aurait pu aussi réfléchir à l'humilité nécessaire - ou non - d'un artiste face à l'oeuvre d'une figure aussi cruciale de la littérature, mais là encore, le film rate l'opportunité.