Vu au Festival du Film de Toronto 2016.
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Il se dégage de Nocturnal Animals un irrésistible sentiment d'étrangeté, une émotion qui nous étrangle comme un mauvais pressentiment.
Nocturnal Animals, qu'on pourrait décrire comme un poème macabre, nous entraîne sur deux chemins : celui de deux anciens amants qui renouent plusieurs années après leur séparation lorsque l'homme envoie le manuscrit de son premier roman à la femme, et celui des personnages de cettedite première oeuvre, qui sont confrontés à de terribles desseins. Comme les personnages du roman sont inspirés par l'homme et la femme de la première trame, les récits se mélangent allègrement et nourrissent ce précieux sentiment d'étrangeté.
Malheureusement, l'un des principaux défauts de l'oeuvre de Tom Ford est que la seconde histoire - un suspense violent et intense - est meilleure que la première - un drame sentimental mélancolique et austère. Malgré tout, Nocturnal Animals reste l'une de mes oeuvres cinématographiques préférées de l'année jusqu'à présent. Ce film, inspiré du livre britannique Tony and Susan, m'a bouleversé d'une étrange façon (à noter que le mot-clé de cette critique est : « étrange »), d'une manière insidieuse et émouvante.
Amy Adams et Jake Gyllenhaal se surpassent une fois de plus dans des rôles sinistres et noirs. Aaron Taylor-Johnson, qui interprète le principal vilain du second récit, donne la chair de poule et Michael Shannon en policier dévoué émeut profondément. Le réalisateur Tom Ford est un directeur d'acteurs exceptionnel et cette qualité se ressent à travers le jeu juste et bouleversant de ses principaux comédiens. L'esthétique funèbre de l'image se révèle également être l'une des plus grandes qualités de la production. La netteté et la droiture des images de la première histoire et l'asymétrie de celles de la seconde parlent autant que le scénario (lui aussi d'une efficacité tranchante).
Le générique d'ouverture du nouveau film de Ford, dans lequel on peut voir de grosses femmes en costume d'Ève se déhancher sensuellement telles des danseuses nues, est particulièrement étrange déroutant. Au-delà du prenant suspense, le long métrage propose une pertinente réflexion sur l'art et l'amour. Il exploite aussi judicieusement les thématiques pointues de la vengeance et de la bestialité.
Fleurtant avec le film noir et le thriller psychologique, Tom Ford livre un deuxième long métrage intrigant duquel il est difficile de détourner les yeux. À certains moments, on a l'impression de lui trouver des similitudes avec Black Swan de Darren Aronofsky, mais on l'oublie rapidement, captivé par son intensité et son spleen perturbant. Nocturnal Animals possède ce charme déroutant qu'on aime voir au sein du cinéma « d'auteur » américain. Pas suffisamment insolite pour être inaccessible, le nouveau film de Tom Ford mérite qu'on lui consacre deux heures de notre vie.