Chaque cinéphile a son souvenir indélébile d'Alain Resnais (pas tant de l'homme, discret, que, par métonymie, de son cinéma). Maintenant que le cinéaste français est décédé, qu'on peut parler de son « dernier » film, il serait facile de s'abandonner à la vénération. Chaque chose en son temps. Malheureusement, il est bien peu probable, vu la richesse d'une oeuvre qui s'étale sur près de 60 ans, qu'Aimer, boire et chanter s'insère de manière permanente dans les souvenirs de ces cinéphiles qui, par leur mémoire, rendent Alain Resnais immortel.
Le long métrage est nécessairement mineur dans une filmographie aussi riche. Mais il est aussi mineur parmi les mineurs, ces films récents du maître qui, quoique joyeusement jeunes, dynamiques et perspicaces, sont marqués par une certaine redondance, une obsession, l'adaptation cinématographique du texte et de la formule théâtrale du vaudeville.
Il y a longtemps que Resnais manipule les codes du cinéma dans un esprit ludique de jeu, de mise en scène, et il ne faut pas s'étonner que le dispositif soit ici ancré dans le récit, dans le thème de ce nouveau - et ultime - long métrage. Multiplications des dessins, isolation des personnages, décors minimalistes (dont des portes en tissus qui ne font pas vraiment de bruit de porte, sauf à l'occasion) et un dialogue entre l'intérieur et l'extérieur du film qui évoquera chez le spectateur sensible à l'oeuvre du grand maître une réflexion sur le crépuscule de sa vie et sa disparition récente. Quelques beaux moments en sont à garder précieusement.
Sauf que Aimer, boire et chanter ne risque pas d'entrer dans la postérité comme un grand cru du vénérable cinéaste français. La mise en abîme se fait parfois lourde et redondante et ce dialogue dont on parlait plus tôt entre les personnages dans le film et les spectateurs hors du film est affligé de symbolisme, de sous-entendus un peu simples qui, s'ils sont au diapason d'interprètes délibérément décalés, ne dynamisent pas vraiment un récit qui est plus signifiant par ce qu'il évoque que par ce qui s'y passe. Quelques sourires, quelques émotions, un sérieux vague à l'âme, mais des émotions assez bénignes.
Même en comparaison avec les oeuvres légères plus récentes du cinéaste, de Pas sur la bouche! à Coeurs jusqu'à Les herbes folles, qui est le fleuron de cet ultime cycle, Aimer, boire et chanter reste mineur, anodin; on dirait même « inoffensif » si ce n'était pas Alain Resnais, qui ne fait certainement rien pour rien.
Ses amis acteurs, les interprètes, semblent bien s'amuser, et sont pratiquement les seules figures cinématographiques familières auxquelles peut s'attacher le spectateur. Leur plaisir à jouer est apparent, leur dévotion ne fait aucun doute, mais le contexte ne permet pas d'apprécier pleinement leur jeu. Sans eux, il ne reste que le récit, assez convenu, très secondaire ici. Et au final, il ne reste que M. Resnais.