Une exultante nouvelle vague déferle en ce moment sur le cinéma québécois. Des premiers et seconds films de jeunes créateurs viennent secouer la façon de concevoir le septième art d'ici. Depuis le début de 2018, seulement sur le plan de la fiction, il y a eu les très satisfaisants Les scènes fortuites, All You Can Eat Bouddha, Les faux tatouages, Isla Blanca et Chien de garde. Ailleurs vient rajouter sa brique à cet édifice déjà foisonnant de genres et d'authenticité.
Ce premier long métrage de Samuel Matteau est d'abord et avant tout une lettre d'amour envers Québec. Rarement la Vieille-Capitale aura été filmée de cette manière. Ce ne sont plus les traditionnelles attractions touristiques qui sont montrées à l'écran, mais ses recoins parfois sinueux, ses lieux tenus dans l'ombre, l'aquarium de nuit et son fameux pont.
Le tout est élevé par la mise en scène maîtrisée de son cinéaste. Les images fortes ne manquent pas de happer, se logeant aisément en tête. Les minutieux mouvements de caméra apportent un souffle certain à l'ensemble, alors que le montage demeure fluide malgré quelques passages redondants et une utilisation plus ou moins heureuse de musique électronique. Les explosions artistiques ne sont pas rares et la plus spectaculaire est certainement cette confrontation entre un père et son fils. À l'aide d'un étonnant travelling, cette scène tournée à l'extérieur d'une maison aux fenêtres omniprésentes adopte le point de vue d'un témoin qui suit inlassablement l'action. Sensations fortes garanties.
Débutant efficacement dans le désir de liberté et d'émancipation de deux amis adolescents (Noah Parker et Théodore Pellerin), l'effort emprunte rapidement la voie de la fable. Il y a cette ville propice à tous les dangers, ses loups-adultes qui se nourrissent d'agneaux, ses souterrains, ce squat où résident ses marginaux, ce cours d'eau qu'il faut franchir pour renaître, etc. Une réalité magique qui ne manque pas de séduire, rappelant par moments Oliver Twist et The Fisher King. Il y a même une sonnerie de cellulaire à l'effigie du mythique jeu vidéo Final Fantasy!
L'aventure n'est toutefois pas totalement au point. Le film est une adaptation libre du roman Haine-moi! de Paul Rousseau et le récit ne manque pas de lieux communs. Évidemment que l'apprentissage et le passage de l'adolescence à l'âge adulte se dérouleront sur fond d'absorption de drogues, d'orgie et de trahisons... Il faudra également repasser sur la simili histoire d'amour, qui équivaut davantage à une initiation à l'intimité sexuelle. N'empêche que le scénario sensible de Guillaume Fournier traite avec empathie et retenue de l'amitié masculine.
La qualité des dialogues enchante lorsque les deux protagonistes se confient (enfin un peu de poésie), mais déçoit légèrement dès l'arrivée d'un troisième individu. Ainsi, il faut parfois faire des efforts pour croire au méchant campé avec verve par Emmanuelle Schwartz et à cette bande de hors-la-loi - les enfants perdus de Peter Pan? - qui aurait peut-être davantage leur place dans Un conte pour tous. La présence de Claude Robinson dans un rôle secondaire est un souci de respect envers cette immense figure... mais dommage qu'il ne soit là que pour faire la morale.
L'interprétation d'ensemble s'avère également inégale par endroits. Il n'y a rien à redire sur la performance de Théodore Pellerin. S'il n'est pas aussi éblouissant que dans Chien de garde de Sophie Dupuis, son jeu désinvolte fait de l'ombre à celui de Noah Parker. Ce dernier a surtout la tâche ingrate d'incarner un personnage plus fade, beaucoup moins complexe et nuancé. D'où l'équilibre un peu vacillant chez le duo. Les autres acteurs s'acquittent de leur boulot en forçant parfois la note. Difficile toutefois de leur tenir rigueur puisque l'existence du conte demandait sans doute cela.
On retiendra principalement de cette odyssée humaine son grand sens du cinéma, ce talent que possède le réalisateur pour faire parler ses êtres et ses lieux sans avoir besoin de recourir aux mots. Il sublime d'ailleurs régulièrement des enjeux attendus et quelques maladresses pour offrir des plans marquants, des moments haletants. Comme quoi peu importe les embûches, elles peuvent toujours être outrepassées. Tout est une question de regard, qui ne pourra que s'affermir au fil des projets et des années.