On est loin ici du film rafraîchissant et hop la vie qui nous ferait oublier nos soucis quotidiens. À perdre la raison dépeint la descente aux enfers d'une femme qui avait pourtant une existence enviable, une carrière honorable et un avenir florissant. À perdre la raison est une oeuvre dure, lourde, mais d'une intensité émotionnelle explosive qui nous garde alerte jusqu'à cette finale déchirante, qui nous provoque et nous attaque dans nos valeurs les plus profondes. Si cette intensité était toujours à son paroxysme - ou ne variait que légèrement -, peut-être que ce drame aurait marqué davantage, mais l'oscillation inégale de l'émotion laisse trop de place au désengagement du spectateur.
Avec À perdre la raison, on tente visiblement d'engendrer un questionnement, de générer une certaine curiosité malsaine et de mettre en doute le sens moral du public, de ce qu'il croit juste et bon. Le film de Joachim Lafosse n'est pas le premier à tenter une telle approche, mais très peu parviennent à toucher comme il le fait. Ses plans languissants et ses cadres serrés nous permettent de comprendre l'affliction de la protagoniste et son impuissance. La tension, l'intensité est palpable dans chacun des plans et on ressent la chute psychique du personnage principal même dans l'image, qui n'a pourtant recours à aucune technique spécifique ou à un montage distinctif.
L'un des aspects que l'on pourrait reprocher au scénario, pourtant généralement fiévreux et intense (définitivement le mot-clé de ce film), c'est de « vendre le punch » dans les premières secondes. Probablement qu'on se justifierait en disant que la finalité n'est pas l'aspect important, c'est le parcours qui importe (ce n'est pas la destination mais la route qui compte), mais reste que de connaître l'aboutissement, nous amène à considérer l'oeuvre différemment et, peut-être, à porter un jugement trop rapide.
Une chose par contre reste indubitable, c'est le talent et l'interprétation sentie de l'actrice Émilie Dequenne. Cette dernière, qui a remporté le prix de la meilleure actrice à Cannes cette année, épate dès le début. Sa candeur des premières scènes est d'autant plus éloquente sachant la commotion qui s'en suit. Une scène dans la voiture où l'héroïne chante une ballade française et s'effondre en larme sous la pression de sa vie s'avère l'un des passages les plus déchirants et significatifs de la production. Tahar Rahim et Niels Arestrup, qui interprète respectivement l'époux marocain et le grand-père adoptif, livrent également une performance remarquable qui vient expliquer et motiver les gestes et le désespoir de cette femme, mère de quatre enfants.
Il faut être prêt à intégrer un film comme celui-là, d'une intensité désarmante et d'une humanité bouleversante. Mais, si on s'engage corps et âme dans l'histoire de cette mère désespérée qui fait face à une impasse majeure et qui ne trouve réconfort et support nulle part, le long métrage nous promet plusieurs soulèvements et, inévitablement, une remise en question (aussi minime soit-elle) de nos valeurs les plus profondément ancrées.