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Troll Story.
Pour son second film (après l’inédit « Shelley » et avant le brillant et mémorable thriller se déroulant en Iran « Les nuits de Mashad »), Ali Abbasi nous surprend mais nous met plus que de raison dans une position inconfortable. Sous ses airs de suspense saupoudré d’une pincée de surnaturel (le personnage principal est une douanière qui sent les émotions des gens, ce qui lui permet de bonnes prises lors de ses fonctions), « Border » va bien plus loin de par la nature même de son couple de protagonistes au faciès disgracieux. En effet, sans vendre la mèche puisqu’on l’apprend très vite, Tina et Vore sont des trolls. Oui de véritables trolls, tels que les légendes scandinaves nous les font imaginer. Si la première passe pour une femme malheureuse que la foudre a défigurée et qu’elle ignore ses origines, le second en est pleinement conscient en assumant et vantant sa condition. Le cinéaste suédois d’origine iranienne tisse ainsi un mélange de thriller et de romance tordue sur ce canevas qui puise son inspiration dans la folklore scandinave et fait entrer le fantastique et l’étrange dans un monde ultra réaliste.
Le résultat est profondément audacieux et inattendu. Et il faut dire que « Border » réserve pas mal de surprises étonnantes qui vont réjouir certains spectateurs et rendent les autres totalement incrédules. Voire même leur faire détourner le regard tellement c’est osé et particulier. On pense notamment à une séquence de coït entre trolls filmée dans sa totalité (!). Inutile, horrible pour nous humains et dérangeante, elle frôle dangereusement le ridicule et montre que l’auteur a voulu aller au bout de son idée mais qu’il s’est laissé un peu dépasser par son entrain. En revanche, les rapports avec la nature de ce duo en décalage avec l’humanité et représentant des pôles opposés quant à leur condition et leur appréhension du monde est plutôt bien rendu. La mise en scène assez anodine dans les moments citadins prend une ampleur plus minérale et apaisante lorsqu’on se retrouve dans les bois ou proche d’un cours d’eau. « Border » prend alors des détours presque contemplatifs assez beaux et apaisants.
La partie qui se rapproche plus du thriller avec le trafic d’enfants et les pédophiles rend le film encore plus sombre et lourd (dans le bon sens du terme) dans son propos. Et il permet de mixer le folklore propre aux trolls et aux légendes qui vont avec. Il y a quelques zones d’ombre que le spectateur se doit de combler sans que cela n’empiète sur notre appréciation du film mais il faut préciser que « Border » reste une œuvre hors des sentiers battus, rien que par la nature de ses personnages, mais aussi. Certaines longueurs et scènes bizarres vont probablement décourager mais on ne peut nier un long-métrage qui tente quelque chose d’inédit et qui se pare d’un discours sur la différence (le racisme n’est pas loin) sans oublier d’être aussi une histoire d’amour et de filiation. À noter qu’on aurait aimé voir davantage de séquences de contrôle et qui mettent le don de Tina en avant plutôt que ce ne soit juste l’amorce de l’histoire. Au final, perturbant et pas toujours heureux dans ces choix radicaux, « Border » demeure un film comme en voit peu et que son réalisateur maîtrise. Après, et encore une fois, c’est très singulier...
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