Le cinéma de Robin Aubert est certainement parmi les plus intransigeants du cinéma québécois présentement. Il n'est pas question de faire des concessions, dans ce cinéma viscéral et personnel, pas plus qu'il n'est envisageable de trahir la démarche artistique du réalisateur et scénariste. On n'abandonne pas le public pour autant, mais on fait confiance à l'instinct, aux impressions, aux sentiments (donc aux émotions) avant d'essayer de comprendre ou d'expliquer. Cela ne signifie pas que toutes les décisions seront bonnes (c'est même souvent le contraire), mais cela signifie que les émotions seront vraies, globales et généreuses.
Lorsque son père s'enfuit avec le cadavre de sa conjointe décédée récemment, un homme part sur les routes avec son grand-père afin d'essayer de retrouver le disparu. Traînant avec eux leur ressentiment et leur alcoolisme, les deux hommes apprennent à se connaître tandis que le père est incapable d'accepter la mort de sa bien-aimée. Ce voyage leur permettra à tous les trois de faire le point sur leur vie et de revenir sur le passé afin d'entrevoir une réconciliation.
Porté par les prestations senties des trois comédiens principaux - Patrick Hivon, Michel Barette et Jean Lapointe - À l'origine d'un cri est transporté par une violence physique et verbale (rarement graphique) qui est parfois déstabilisante. Le sentiment d'urgence proposé par le récit se transmet merveilleusement aux choses qu'il faudra que ces personnages se disent tôt ou tard. Ce film est le témoignage de leur réconciliation, de l'amour en filigrane qui prévaut derrière les rancoeurs et le ressentiment. Un témoignage senti et bouleversant.
La scène d'ouverture et son contrepoids un peu plus tard, au-delà de leur brutale efficacité, ne s'inscrivent pas dans la logique narrative du récit, et n'en portent donc pas la force - la fureur - émotive. Au lieu de vivre les émotions, on essaie, presque par réflexe, d'insérer ces scènes dans le récit, d'en mesurer l'impact - message? cause? conséquence? - plutôt que de les vivre. Ces scènes sont à la fois brutales et pudiques, ce qui les rend d'autant plus fortes en tant qu'unités. Mais le message qu'elles portent à l'intérieur de ce récit est ambigu. L'instinct, c'est aussi dans l'oeil de celui qui regarde, et s'il n'a pas toujours les mots pour exprimer clairement les incongruités, il les ressent quand même. Heureusement, cela reste relativement mineur.
Le réalisme poétique du film sert le récit et circonscrit les émotions, les rendant plus fortes. C'est parce que tout est cohérent que le spectateur peut surpasser son réflexe de réalisme (ce qui ne signifie pas « réaliste ») pour vivre pleinement les émotions qu'on lui propose. Si le geste ne va pas de soi, s'il n'est pas intuitif, on ne pourra pas en saisir l'émotion. Robin Aubert a la chance - ou le don - d'être humain avant tout, même derrière une caméra (cela veut dire faillible) et d'assumer ses propositions, en plus de les placer dans un contexte qui les sert bien, où la nostalgie côtoie l'intemporel et où les personnages ne refusent pas les confrontations.
Intransigeant, cela veut dire exigeant. Mais cela veut surtout dire que l'on refusera les compromis pour faire plaisir au preneur de son, la maquilleuse ou au distributeur, qu'on ne ciblera ni un public cible, ni un groupe d'âge. Qu'on fera du cinéma pour ceux qui aiment le cinéma en tant que moyen d'expression artistique, pas comme passe-temps. On essaie souvent de nous faire croire que les efforts engendrent les meilleurs résultats. Qu'à force de travail, on peut tout accomplir. Cela n'est pas certain. Il existe aussi le talent, et Robin Aubert a ce talent pour les histoires belles et cruelles et pour les émotions vraies. La seule vérité qu'est en mesure de proposer le cinéma, c'est celle des émotions.