Kenneth Branagh est un excellent cinéaste, ayant réalisé de grands films par le passé. Malheureusement, ses transpositions des romans d'Agatha Christie n'en font pas partie. Qu'en est-il de A Haunting in Venice, où il reprend le rôle d'Hercule Poirot pour la troisième fois après les décevants Murder on the Orient Express et Death on the Nile?
Il s'agit étonnamment de son adaptation la plus satisfaisante du lot, la plus sobre et la plus profonde. Le roman Hallowe'en Party devient un prétexte pour aller explorer les secrets et les remords de ses personnages. Pratiquement tous les êtres de chair et de sang qui apparaissent à l'écran souffrent, et ils vivent entourés de fantômes. Les affronter ou faire la paix avec eux n'est toutefois pas donné à tout le monde...
Avant d'en arriver là, il faudra se farcir une intrigue à rebondissements prévisibles au rythme léthargique, émanant d'une époque révolue. Lorsqu'une séance de spiritisme tourne mal et qu'un des invités est retrouvé mort, notre détective préféré boucle l'endroit qui pourrait très bien être hanté. Tout le monde est suspect et la motivation du coupable sera expliqué de fond en comble avant la tombée du générique.
Comme toujours dans ce type d'aventures incroyables qui mélange suspense et humour (de Knives Out et sa suite à la vieille adaptation de Murder on the Orient Express de Sidney Lumet), c'est la qualité du casting qui fait toute la différence. On retrouve ici la pétillante Tina Fey, l'inébranlable Camille Cottin, la glaçante Kelly Reilly, l'imperturbable Riccardo Scamarcio, le fabuleux duo père/fils formé de Jamie Dornan et de Jude Hill (le même que dans Belfast) et la toujours merveilleuse Michelle Yeoh dans son premier rôle après l'Oscar qu'elle a obtenu pour Everything Everywhere All at Once. Une distribution de choix qui ne sert, cette fois, pas de simple faire-valoir à Kenneth Branagh. Ce dernier campe un Hercule Poirot plus vulnérable et solitaire que jamais, qui n'aura toutefois jamais le charisme de David Suchet.
Le véritable héros de l'histoire est cependant le lieu lugubre et morbide où se déroule l'action. Une maison étouffante prête à avaler tout rond ses occupants. La mise en scène l'exploite brillamment, à la fois en multipliant les angles originaux de caméras qu'en cultivant le mystère en place. L'abus d'hallucinations provoque peut-être d'irritants sursauts gratuits. Cela n'empêche toutefois pas l'ensemble d'être bercé d'une mélancolie gothique qui est loin d'être désagréable. La photographie extrêmement soignée d'Haris Zambarloukos (Belfast) et les mélodies minimalistes d'Hildur Guðnadóttir (Joker) finissent par emporter l'adhésion.
A Haunting in Venice s'avère surprenant à bien des égards. Pas tant dans ce qu'il raconte que dans sa façon de le raconter, tranchant avec les divertissements puérils de ses prédécesseurs pour embrasser un peu plus de sérieux qui lui va comme un gant.